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nous devons ces ravissantes sirènes, ces merveilleux tritons ? Rubens n’a jamais rien créé de plus beau; jamais la peinture n’a mieux exprimé la chair frémissante et la splendeur de la lumière. Que les puristes s’affligent tout à leur aise de cette monstrueuse alliance, qu’ils crient à la profanation, je n’essaierai pas de les apaiser, car le plus simple bon sens m’oblige à leur donner raison dans le domaine des idées. Oui, sans doute, Neptune, les tritons et les sirènes entourant la galère qui amène en France Marie de Médicis seront toujours pour les hommes de goût une étrange fantaisie, et cependant l’Arrivée de la reine est un des plus admirables tableaux dont l’histoire fasse mention. On peut le condamner au nom des convenances que la peinture doit respecter aussi bien que la poésie : si l’on consent à ne tenir compte que de la beauté des figures, il faut l’absoudre et le glorifier.

Je ne serai pas plus indulgent pour la manière dont Rubens a représenté la Ville de Lyon allant au-devant du roi et de la reine. Deux lions attelés et conduits par des amours sont à coup sûr un singulier emblème, le bon sens et le goût pourraient souhaiter quelque chose de mieux; mais Henri IV et Marie de Médicis, sous la figure de Jupiter et de Junon, désarment sans effort les juges les plus sévères. Quelle grâce et quelle majesté! Ne faut-il pas pardonner cet emprunt fait à l’Olympe en voyant le prodigieux parti que l’auteur a su tirer de sa faute ? L’expression martiale de Jupiter ne convient-elle pas au Béarnais ? Le fier visage de Junon ne rend-il pas à merveille la joie de la nouvelle épouse ? Supprimez par la pensée l’emploi de l’allégorie, et voyez à quels élémens se réduit le fait consigné par l’histoire. Sans doute Rubens a usé de l’allégorie avec une liberté qui dégénère trop souvent en licence; mais qu’il est habile à racheter sa faute! Comme il commande, comme il impose le pardon par la hardiesse du dessin, par la splendeur du coloris!

Je ne pousserai pas plus loin cette apologie de l’allégorie, car le lecteur achèvera sans peine ce que j’ai commencé. Dans toutes les compositions où l’auteur a violé les lois du goût, il a pris soin de se justifier par l’énergie de l’expression, par le charme de la couleur. Résolu à poétiser tous les sujets que lui fournit la vie de Marie de Médicis, il ne recule devant aucune témérité : emblèmes païens, emblèmes chrétiens, tout lui est bon, pourvu qu’il trouve moyen de montrer la puissance de son pinceau. Sans doute il vaudrait mieux que le bon sens fût constamment satisfait aussi bien que les yeux, sans doute nous devons regretter que le peintre ait trop souvent compté sur la pénétration du spectateur : Nicolas Poussin n’eût jamais commis de pareilles méprises; mais si Rubens cède le pas à Nicolas Poussin dans le domaine de la philosophie, comme il le