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dépasse dans le domaine de la peinture ! Il a beau se tromper, multiplier les fautes, outrager le goût : il y a dans ses figures de femmes tant de souplesse et de grâce, dans ses figures d’hommes tant d’énergie et de fierté, qu’on est forcé de l’admirer tout en condamnant ses caprices.

Il y a dans la Vie de Marie de Médicis plusieurs épisodes où le goût ne trouve rien à reprendre. Il me suffira de citer Henri IV confiant à la reine le gouvernement du royaume. Quelle douce et touchante majesté dans le visage, dans l’attitude de la reine ! Quel empressement et quelle sécurité dans le mouvement et dans la physionomie du roi ! Il remet aux mains de la reine le globe, symbole de la puissance ; il lui abandonne les destinées de la France sans inquiétude, sans hésitation, persuadé que ce précieux dépôt sera fidèlement gardé. Peut-on souhaiter, peut-on rêver deux plus beaux portraits ? Est-il possible d’apporter plus de vérité dans l’expression des sentimens, plus de naturel et de vivacité dans les mouvemens ? Et comment louer dignement la figure de femme placée à gauche de la reine ? La beauté de ses épaules, la transparence de ses joues, la fraîcheur de ses lèvres, la sérénité de son regard, éblouissent tous les yeux. En présence de telles merveilles, comment ne pas oublier les fautes que le bon sens relève dans la Vie de Marie de Médicis ?

Cette série de compositions biographiques fut achevée, selon le témoignage de Michel en deux ans, selon Walpole en trois ans. J’ai déjà dit ce qu’il faut penser de cette prodigieuse fécondité, à quelles limites il convient de la réduire. Les esquisses faites à Paris par Rubens, sous les yeux de la reine-mère, qui venait souvent le visiter dans son atelier, ont été mises en œuvre à Anvers par ses élèves. Il suffit de citer leurs noms pour ramener le prodige aux proportions de la vraisemblance : Van Dyck, Jordaens, Gaspard de Crayer, van Egmont, Diepenbeck, Corneille Schut, Erasme Quellyn, Momper, Vilders, Lucas van Uden, François Sneyders, traduisaient fidèlement la pensée du maître. Avec de tels auxiliaires, Rubens pouvait contenter tous les souverains d’Europe et décorer en quelques années les palais du Luxembourg, de l’Escurial et de White-Hall.

Parmi les quatre-vingt-six lettres de Rubens publiées à Bruxelles par M. Cachet, on en trouve plusieurs qui se rapportent à la galerie de Médicis et qui sont adressées soit à Peiresc, soit à Valavès. Le mariage d’Henriette de France avec Charles Ier occupait alors toutes les pensées de la reine-mère, et le protégé du baron de Vicq attendait le prix de ses travaux. Il demande à ses correspondans s’ils peuvent lui donner des nouvelles de l’abbé de Saint-Ambroise, personnage en crédit auprès de la reine-mère, qui devait hâter le paiement de ses tableaux. Il est certain que ces lettres témoignent un peu