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désiraient s’habiller ainsi. Le vice-roi se mit à rire et leur laissa carte blanche.

Pao-hing était de l’école, fort nombreuse en Chine, des mandarins qui détestent les embarras et qui s’accommodent volontiers de tout, pourvu que l’on épargne leur responsabilité; il se serait bien gardé, s’il avait été le maître, d’arrêter deux Européens, de faire un gros procès, de révolutionner la ville et la province et d’appeler sur une question aussi compromettante l’attention du cabinet de Pékin, Combien il eût préféré fumer tranquillement sa longue pipe, mâcher la noix d’arec et boire sa tasse de thé, plutôt que de chercher querelle au christianisme, dont il n’avait, en vérité, nul souci! Sa mauvaise humeur contre le fougueux Kichan était caractéristique, et dès qu’il eut achevé son rapport à l’empereur, rapport fort honnête qui relatait assez exactement les faits, il ne songea plus qu’à repasser à son collègue de la province de Hou-pé les hôtes importuns que lui avait si mal à propos envoyés l’ambassadeur chinois à Lhassa. Il se montra toutefois jusqu’au dernier moment plein de bienveillance envers les missionnaires. Dans l’audience qu’il leur accorda le jour du départ, il leur remit une copie des instructions qu’il avait données aux mandarins chargés de les accompagner jusqu’à la capitale de la province voisine, et ces instructions pourvoyaient avec le plus grand soin aux moindres détails du voyage. Il accueillit les observations qui lui étaient soumises sur la situation des chrétiens dans le Céleste-Empire et sur la nécessité d’exécuter fidèlement les promesses faites, en 1844, au nom de l’empereur, à l’ambassadeur français, M. de Lagrené; il s’engagea même à intercéder en faveur du christianisme lors de son prochain voyage à Pékin. Pao-hing et les missionnaires se quittèrent donc les meilleurs amis du monde, et quand MM. Huc et Gabet remontèrent dans leurs palanquins pour continuer leur route à travers la Chine, ils purent apprécier ce que vaut l’amitié d’un vice-roi. Tous les mandarins de Tching-tou s’inclinaient devant eux; la population se pressait avec enthousiasme sur leur passage; les chrétiens, sortant de la foule, invoquaient leur bénédiction par de hardis signes de croix. C’était une marche triomphale. Ils étaient entrés dans la capitale du Sse-tchouen, pour y comparaître devant les juges; ils en sortaient maintenant, applaudis, fêtés, suivis d’un splendide cortège. Un mandarin de première classe eût été à bon droit jaloux de tant d’honneurs prodigués à ces barbares de l’Occident !