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développés que dans nos régions occidentales! Je ne me charge pas d’expliquer la tolérance exagérée dont firent preuve en cette occasion les mandarins de Leang-chan. M. Huc ne doute pas que sa ceinture rouge n’ait produit sur toute la population de l’endroit un effet magique, et il attribue en grande partie à ce détail si précieux de son costume la réussite de sa campagne judiciaire. Je croirais plutôt que les Chinois ont été complètement abasourdis en voyant ces deux étrangers s’établir sans plus de façon au banc des juges, et que la crainte de provoquer une rixe compromettante ou seulement un embarras pour l’administration locale a déterminé les mandarins à laisser passer la justice des missionnaires. Il convient toutefois d’ajouter que l’aventure tourna au profit de la petite chrétienté de Leang-chan. A partir de ce moment, il n’y eut plus de persécutions : les magistrats cessèrent d’entraver l’exercice du culte catholique, et il est probable que les habitans de Leang-chan n’oublieront pas de si tôt le sermon de M. Huc.

Ce fut à travers cette longue série de luttes et d’accidens que les voyageurs parcoururent, de l’ouest à l’est, la province du Sse-tchouen et arrivèrent aux frontières du Hou-pé. On les avait prévenus que cette province ne leur offrirait pas autant de ressources que le Sse-tchouen : la plupart des villes ne possédaient point de palais communaux, et la population était grossière et ignorante. Ces renseignemens peu avantageux auraient pu décourager des touristes moins endurcis aux mille et une misères d’un voyage en pays chinois. Il n’y avait pas d’ailleurs à choisir. Heureusement on pouvait faire une bonne partie du trajet sur les eaux du Yang-tse-kiang, dont le cours large et rapide forme en quelque sorte la grande route de la province. Je ne raconterai plus les contestations qui s’élevèrent encore dans plusieurs villes entre les missionnaires et les mandarins; j’aime mieux, pour la rareté du fait, citer la mention honorable que M. Huc accorde au magistrat de la petite ville d’I-tou-hien, — un jeune Chinois aimant les conversations sérieuses, connaissant l’existence et l’étendue des cinq parties du monde et demandant si les gouvernemens européens auront bientôt fait de percer l’isthme de Suez. Plus tard, en approchant de Canton, M. Huc rencontra un lettré, d’origine mogole, qui le surprit également par la précision de sa science géographique, d’où il conclut qu’il ne faudrait pas juger la géographie en usage dans le Céleste-Empire d’après les cartes ridicules qui ont été apportées en Europe. Je crois cependant que sauf de très rares exceptions les Chinois, même les Chinois lettrés, sont aujourd’hui encore très peu versés dans la connaissance de la mappemonde, et je n’en veux pour preuve que les grossières erreurs dont fourmillent leurs ouvrages les plus récens. Il en est de