Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 8.djvu/278

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ont entrepris la conversion. Il est un point toutefois sur lequel M. Huc a fourni des éclaircissemens très précieux, — je veux parler de l’infanticide, — et il me semble que, malgré la sévérité très légitime des conclusions, son témoignage atténue singulièrement les accusations dont on a, dans ces dernières années, poursuivi la nation chinoise.

On se souvient de l’espèce d’agitation excitée à Paris et dans toute la France en faveur des petits Chinois, que l’on sacrifie, disait-on, par milliers et même par millions, a et qui périssent soit dans les eaux des fleuves, soit sous la dent des animaux immondes. » Les missionnaires avaient, en effet, raconté que l’on rencontre fréquemment en Chine, le long des routes, sur les fleuves, les lacs et les canaux, des cadavres de petits enfans. M. Huc ne doute pas de l’exactitude de ces récits, mais voici en quels termes il s’exprime : « Pendant plus de dix ans, nous avons parcouru l’empire chinois dans presque toutes ses provinces, et nous devons déclarer, pour rendre hommage à la vérité, que nous n’avons jamais aperçu un seul cadavre d’enfant.... Toutefois nous avons la certitude qu’on peut en rencontrer très souvent.... » Et alors M. Huc explique que, les frais de sépulture étant très coûteux, les parens, déjà pauvres, ne veulent pas se réduire à la mendicité pour ensevelir leurs enfans, et qu’ils se contentent de les envelopper dans quelques lambeaux de nattes, puis de les exposer dans un ravin ou de les abandonner au courant des eaux. « Mais on aurait tort de conclure que les enfans étaient encore vivans quand ils ont été ainsi jetés et abandonnés. Cela peut cependant arriver assez souvent, surtout pour les petites filles dont on veut se défaire et qu’on expose de la sorte, dans l’espérance qu’elles seront peut-être recueillies par d’autres. » A l’aide de ces explications, on peut ramener les faits à leur juste valeur. Que l’infanticide existe en Chine, cela n’est pas douteux; les édits publiés par le gouvernement contre cet odieux crime l’attesteraient suffisamment à défaut de nombreux et incontestables témoignages. Dans un pays où la population est excessive, où la misère est grande, où les institutions charitables n’ont pris encore aucun développement, il n’y a pas à s’étonner qu’il en soit ainsi. L’infanticide n’est pas pour cela un fait général en Chine, une habitude, un trait de mœurs; il n’atteint pas les proportions qui lui ont été attribuées. Les Chinois aiment leurs enfans, je dirai même qu’ils les aiment avec une expansion de tendresse dont tous les voyageurs qui ont visité un point quelconque du Céleste-Empire ont été frappés et touchés. Vous pouvez battre impunément un Chinois; mais n’ayez pas le malheur de malmener un enfant dans les rues de Canton ou de Shang-haï, quand même vous seriez assailli, suivant l’usage, par les cris et les quolibets d’une