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duc de Rivas eut fait jouer le beau drame de la Fuerza del Sino. Le drame du duc de Rivas (ce fut un événement dans l’histoire littéraire du XIXe siècle) est de 1835. En 1836 commençait à Madrid la publication du théâtre ancien et moderne de l’Espagne, qui compte déjà plus de cent volumes : Galeria dramatica, teatro antiguo, teatro moderno. Le Teatro antiguo surtout fut une révélation qui arrivait à point. A dater de ce moment, les travaux sur Lope, sur Calderon, et même sur les dramatistes moins connus qui ont préparé leurs triomphes, se succèdent sans relâche et satisfont la vive curiosité des esprits. En 1839, c’est don Agustin Duran qui donne dans la Revista de Madrid une belle étude sur Lope de Vega; en 1840, c’est un recueil très digne d’estime, le Semanario pintoresco español, qui publie les recherches de M. Juan Colon y Colon sur les prédécesseurs de Lope, Noticîas del Teatro español anterior à Lope. En 1842, la Revue de Madrid reçoit un travail substantiel de M. Mesonero Romanos, intitulé Rapide coup d’œil historique sur le théâtre espagnol. De 1842 à 1844, M. Gonzalo Moron donnait aussi, dans sa Revista de España y del estrangero, un essai littéraire et philosophique sur le même sujet. Enfin M. Gil y Zarate, le même qui renouvelait si brillamment sur la scène la verve et les hardiesses de Lope, publiait dans le second volume de son Manuel de Littérature de savantes pages sur son maître bien-aimé[1]. N’oublions pas le premier peut-être de tous ces critiques, le célèbre poète don Alberto Lista y Aragon, qui, dans le second volume de ses Ensayos literarios y criticos (Madrid 1844), a donné une série d’excellens chapitres sur les maîtres de la scène. Je pourrais citer encore d’autres travaux qui appartiennent à cette période; je pourrais signaler cette belle Bibliothèque des Auteurs espagnols, dont le second volume reproduit, avec beaucoup de notes et d’additions indispensables, la dissertation de Moratin sur les origines du théâtre en Espagne. Qu’il nous suffise d’indiquer ici les œuvres les plus importantes : on voit assez, par ce concours des critiques et des poètes, combien la longue indifférence de l’Espagne pour son théâtre national a fait place à des sympathies passionnées.

Il s’en faut bien cependant que ces travaux des critiques espagnols puis- sent donner une idée complète de l’ancien théâtre. On avait là de curieuses études de détail ou des vues générales empreintes d’un enthousiasme intelligent; mais qui donc avait songé à tracer l’histoire tout entière de cette scène espagnole, à la suivre dans ses débuts, dans ses premiers bégaiemens, dans ses hardiesses qui s’éveillent, dans ses transformations capricieuses, dans son passage de l’inspiration ecclésiastique à l’inspiration romanesque, et dans son retour du roman à l’église ? Ce travail est de ceux qui veulent toute une vie de patience. Que de laborieuses recherches ! combien de lacunes à combler et de ténèbres à éclaircir ! Il est vrai que le résultat où l’on tend vaut bien de tels efforts. Le théâtre espagnol est à la fois un des plus curieux problèmes à résoudre et l’une des plus riches conquêtes à faire dans l’histoire de la poésie. Telle a été l’ambition d’un savant écrivain de l’Allemagne, M. Adolphe-Frédéric de Schack, et le succès de son œuvre l’a bien

  1. Manual de Literatura, 2 vol, Madrid 1844. Voyez dans la parte II, Resumen historico de la Literatura española, le chapitre intitulé Escritores dramaticos.