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Si habilement que Mme Renaud eût essayé de déguiser l’amour-propre qui, bien plus qu’un véritable intérêt, avait été le mobile des offres de service que son mari l’autorisait à porter à Lazare, celui-ci ne s’était point mépris sur les intentions qui les avaient dictées. — Je sais gré à M. Renaud de cette récidive, dit l’artiste; mais c’est à vous, ma chère marraine, que je garde la reconnaissance, car sans votre initiative je ne pense pas que M. Renaud se serait souvenu de moi. Je pourrais peut-être chercher la véritable cause de ce retour de bienveillance que je n’ai jamais sollicité; mais comme la découverte pourrait me fâcher, j’aime mieux n’y voir que la pensée très sincère de me rendre service. Seulement, lorsqu’on veut rendre réellement service à quelqu’un, il faut l’obliger dans le sens de ses véritables besoins. Or mes besoins véritables ne sont pas là où vous les voyez. A part deux ou trois amis qui sont dans la même position que moi, je ne connais personne, et comme l’opinion des étrangers ou des passans m’est absolument indifférente, je n’attache aucune importance aux remarques qu’on peut faire sur mon costume. Un crédit ouvert chez le marchand de couleurs me serait beaucoup plus utile qu’un crédit chez le tailleur.

— Mais pourquoi ne pas s’habiller comme tout le monde ? interrompit sa marraine.

— Je ne suis pas tout le monde et ne suis pas du monde, répondit Lazare.

— Mon enfant, il faut pourtant se soumettre aux usages.

— Je vis en dehors des usages; ce n’est point cynisme ni stupide désir d’originalité, c’est nécessité.

— Enfin, mon ami, insista Mme Renaud, comprends donc bien ceci, que tu ne peux pas venir chez moi ni paraître à ma table vêtu comme un malheureux.

— J’aurai toujours du plaisir à vous voir, ma marraine; mais je réserverai mes visites pour les heures où je pourrai les faire sans vous compromettre. Quant à l’autre proposition que vous me faites de prendre mes repas chez vous, je ne l’accepte pas. Je gênerais à votre table, et j’y serais gêné. Maintenant, acheva-t-il, il y a un moyen d’arranger tout cela, et celui-là du moins me sera véritablement profitable. Au lieu de mettre à ma disposition son tailleur et son cuisinier, que M. Renaud me donne l’argent qu’il consacrerait à me vêtir et à me nourrir! Il y aura tout bénéfice pour lui et pour moi.

— Mon mari n’y consentira pas, dit Mme Renaud en secouant la tête. Il suppose que tu mènes une existence déréglée, et craindrait que tu ne fisses de ton argent un usage qui ne te servirait pas.

— Ni à lui non plus, murmura Lazare. Eh bien ! reprit-il tout haut, s’il n’a pas confiance en moi, qu’il prenne ses précautions, je ne m’y