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oppose pas. Au lieu de me remettre l’argent, qu’il m’accrédite chez un marchand où je pourrai prendre tout ce qui est nécessaire pour mon travail, et qu’il paie lui-même ma pension dans un petit restaurant du voisinage.

— Mon mari ne voudra pas non plus, répondit Mme Renaud; il trouvera singulier, comme je le trouve moi-même, que tu refuses de venir chez lui quand il te le propose.

— En effet, interrompit Lazare avec vivacité, personne ne serait instruit de sa générosité.

— C’est mal ce que vous dites là, Lazare, dit Mme Renaud en se levant. Que vous importe l’intention, si le résultat est profitable ?

— Mais je vous ai expliqué qu’il ne pourrait pas l’être.

— C’est la seconde fois que tu nous refuses, dit Mme Renaud.

— Au moins reconnaîtrez-vous que je n’avais rien demandé, répondit Lazare, qui laissa sa marraine sortir de chez lui fâchée.

Trois jours après, le tailleur revint comme il l’avait promis pour essayer les habits.

— Vous pouvez remporter cela, lui dit Lazare.

Antoine, qui se trouvait précisément chez son ami, le prit à part : — Tu as tort, lui dit-il; prends toujours les habits; l’argent que tu pourras en retirer te mettra pendant un mois du pain sur la planche, du feu dans ton poêle et des couleurs sur ta palette.

— Non, dit Lazare après avoir hésité, je ne veux pas avoir l’air de faire à cet homme aucune concession. — Et il renvoya le tailleur avec l’habillement.

Antoine avait haussé les épaules.

— Tu ne m’approuves pas ? lui demanda Lazare.

— Quand on a une longue route à faire dans un chemin mauvais et qu’on se trouve déjà gêné par sa chaussure, je n’approuve pas que l’on y mette volontairement des cailloux.

— Il y a des choses que nous n’entendons pas de la même façon, répondit Lazare avec le ton d’un homme qui fuit devant une discussion, parce qu’il ne possède pas d’assez bons argumens pour la soutenir.

— Il y a en effet plusieurs choses que nous comprenons différemment, répliqua Antoine; mais de laquelle veux-tu parler en ce moment ?

— Tu dois bien t’en douter, fit Lazare : je veux parler de l’amour-propre. Non-seulement tu parais ne pas le comprendre, mais encore il est des circonstances où tu vas jusqu’à le blâmer.

— Nécessairement, ou je ne serais pas logique, dit Antoine. Je ne comprends pas l’amour-propre quand il n’est que la constante et puérile préoccupation d’une susceptibilité toujours en éveil. Je le