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relations avec Eugène n’étaient point rompues et qu’il n’avait aucun grief contre lui : mais au moment où il ouvrait la bouche pour faire cet aveu, l’artiste trouva le sens, l’origine de ce grief très réel, qu’il supposait imaginaire une minute auparavant. Tout ce qu’il avait dit à propos d’Eugène pour dire quelque chose, il le pensait. Pourquoi ? Ce fut en se faisant cette question qu’il prit congé d’Antoine; ce fut avec ce pourquoi qu’il s’endormit, ou plutôt qu’il ne dormit pas. Le lendemain, dès le matin, Lazare courut chez Antoine. — Ne m’en veux pas, lui dit-il, de ce qui s’est passé hier; si tu veux savoir la raison qui m’empêche de retourner chez Eugène, duquel je n’ai aucunement à me plaindre, c’est qu’Eugène a une maîtresse qui est musicienne, et je me suis aperçu que ce n’était point seulement le charme de la musique qui me faisait trouver du plaisir à être avec elle.

— Tu es amoureux, fit Antoine; diable! il faut te soigner. Quand cela ne rend pas très bon, cela rend très mauvais, l’amour.

— Je me suis juré à moi-même de ne plus mettre les pieds dans la maison, reprit Lazare, et je me tiendrai parole. Tu comprends maintenant quelle réserve m’impose un tel état de choses, et tu seras comme moi de cet avis, que je ne puis réclamer ou accepter aucun service d’un garçon dont je suis le rival.

— Tu as raison, dit Antoine.


IV. — CLAIRE.

Comme il s’y était engagé, Lazare avait cessé tout à coup ses visites chez Claire. Au bout de quelque temps, Eugène, très étonné de cette rupture, dont il ne pouvait soupçonner la cause, vint chez Lazare pour lui en demander l’explication. L’artiste lui fit très franchement part de ses motifs. Eugène parut d’abord ne pas accepter sérieusement la révélation qui venait de lui être faite. Il fallut toute l’insistance de Lazare pour le persuader que rien n’était exagéré dans tout ce qu’il lui avait dit. — Claire est bien loin de se douter de cela, fit Eugène; elle ne comprend rien à votre absence, et s’imagine qu’elle ou moi nous avons fait ou dit à notre insu quelque chose dont votre amour-propre, que nous savons un peu irritable, se sera froissé. Elle m’envoyait positivement m’en expliquer avec vous. Me voilà en vérité fort embarrassé pour lui répondre, car enfin je ne puis pas lui faire connaître le véritable motif de votre retraite ; mais voyons, là, entre nous et bien sincèrement, ne pouvez-vous pas vaincre ce... sentiment ? ajouta Eugène après une courte hésitation. Depuis un mois que vous n’avez pas vu Claire, l’absence a dû faire son œuvre d’oubli. J’accepte vos scrupules, mais je me demande s’ils sont bien légitimes.