Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 8.djvu/399

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

journée victorieuse du 20 septembre, pendant laquelle les armées alliées avaient cimenté leur union en rivalisant d’intrépidité et de vigueur.

Dans le l’eu même de l’action, on retrouvait la différence de caractère des deux peuples : les Anglais marchaient au combat avec un stoïque et mâle courage, avec une inébranlable solidité ; nos soldats avaient le même élan, la même ardeur indomptable qui les a toujours distingués. Le résumé de la bataille de l’Alma, c’est le mot du maréchal Saint-Arnaud quand il dit que, si les Anglais et les Français avaient occupé les positions des Russes, ceux-ci ne s’en seraient point rendus maîtres. La portée même de la victoire de l’Aima peut se mesurer d’après les opérations qui ont suivi. Nos armées n’ont rencontré l’ennemi ni sur la Katcha, ni sur le Belbeck. Elles ont pu sans coup férir aller prendre possession de Balaclava, au sud de Sébastopol, de façon à cerner la place au nord et au midi, en même temps qu’elles s’assuraient un port où ont dû débarquer les nouveaux renforts attendus de divers points de la côte de Turquie. Les Russes ne se sont point opposés à cette marche. Le prince Menchikof attendait lui-même des secours, disait-on. Il est probable aussi qu’il était peu pressé de livrer de nouveau bataille avec une armée démoralisée par la défaite. D’ailleurs les opérations des Russes, il faut le dire, ne sont pas toujours faciles à pénétrer. On a pu notamment remarquer un fait singulier dont il n’était pas aisé de saisir le sens. Le prince Menchikof, a-t-on dit, faisait récemment combler la passe du port de Sébastopol. Or le lieutenant du tsar se trouvait en ce cas faire justement ce que nos amiraux auraient eu un moment le projet de faire eux-mêmes, afin de tenir la flotte russe captive dans le port sous le canon des armées alliées. L’escadre de l’empereur Nicolas s’est condamnée ainsi à ne plus sortir que vaisseau par vaisseau, ce qui ne dénote point l’intention de venir livrer bataille à nos flottes. Seulement on peut se demander quel est le but de cette immobilisation des forces navales de la Russie ? Dans peu de jours sans doute, les événemens qui se poursuivent actuellement en Crimée viendront dire le dernier mot de cette lutte et achever cette campagne comme la victoire de l’Alma l’a commencée.

C’est au lendemain même d’un premier succès dû à son habileté et à ses efforts, à la veille peut-être d’un succès plus décisif encore, sur lequel il avait le droit de compter, que le maréchal de Saint-Arnaud a succombé, épuisé par la maladie et par la fatigue. Déjà, quand il quittait la France, il y a quelques mois, pour aller se mettre à la tête de l’armée, il luttait contre le mal qui vient de l’emporter. Il a eu à lutter encore en Orient contre d’autres atteintes. Ce n’est que par la plus rare énergie et par une étrange force de volonté qu’il parvenait à maîtriser ses souffrances physiques. L’instinct militaire, le besoin d’attacher son nom à quelque grand fait d’armes, semblaient lui servir de ressort. Cette lutte permanente contre la nature physique est certainement un des plus héroïques spectacles. Le maréchal de Saint-Arnaud était arrivé en Crimée à bout de forces, éprouvé par la traversée, en proie à un mal qui ne faisait que s’accroître, et néanmoins dans la journée de l’Aima il restait encore douze heures à cheval, il parcourait plusieurs fois le champ de bataille. Son dernier rapport, à travers une certaine sérénité virile, laisse percer une sorte de pressentiment pénible. « Ma santé est toujours la même,