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et des loges sera pour elle une leçon perdue. Pourvu qu’une vingtaine d’enthousiastes disciplinés saluent son entrée en scène et la rappellent après la chute du rideau, elle ne prendra nul souci des remontrances. Il serait temps de lui signaler tous les périls de la voie où elle s’engage. Ses nombreuses pérégrinations, qui ont déjà singulièrement amoindri son talent, finiront par l’anéantir. Qu’elle s’enrichisse tout à son aise, qu’elle entasse des monceaux d’or, mais qu’elle ne compte plus sur les applaudissemens d’un auditoire intelligent; qu’elle se livre tout entière à l’industrie, mais qu’elle ne s’étonne pas si les amis de l’art dramatique la voient partir sans regret et revenir sans joie. Pour elle, Paris n’est plus qu’un pied-à-terre. Elle donne à la Comédie-Française les mois qu’elle n’a pas pu négocier sur les marchés d’Europe ou d’Amérique. Nous ne sommes pour elle qu’un pis-aller. Il ne reste donc plus maintenant qu’un seul enseignement à lui offrir; le silence ne lui a rien dit : que la solitude se charge de l’instruire. Puisqu’elle nous prend quand elle ne trouve rien de mieux, et nous laisse en toute hâte dès qu’elle trouve à placer son temps d’une manière plus fructueuse, ne lui témoignons pas un empressement qu’elle ne mérite plus. Elle n’a aucun souci des intérêts du théâtre qui a fait sa gloire; elle envoie sa démission à ses camarades, et revient parmi eux pour les quitter encore; elle demande des rôles nouveaux, les étudie, les répète, pour les jeter ensuite au panier. Nous devons souhaiter que cette conduite ne soit pas encouragée. Mlle Rachel, longtemps fêtée comme la poule aux œufs d’or, a pris soin de détruire le prestige qui s’attachait à son nom. Au témoignage des hommes qui savent le train des choses, elle désorganise l’administration, elle entrave le répertoire et décourage tous les écrivains assez crédules pour compter sur ses promesses. On disait, il y a seize ans, qu’elle allait régénérer l’art dramatique; les flatteurs disaient même qu’elle sauvait notre langue. Ce qu’il y a de plus clair dans sa conduite, c’est qu’elle se moque de tout le monde.

Le gouvernement manifeste l’intention d’encourager l’art dramatique et l’art musical par tous les moyens dont il peut disposer : c’est une intention excellente, un dessein généreux que nous ne saurions trop louer. Nous craignons seulement qu’il n’ait pas choisi la route la plus sûre pour toucher le but qu’il se propose. Quoiqu’il n’administre pas directement le Théâtre-Français, il intervient dans toutes les transactions entre le directeur et les comédiens, entre le directeur et les auteurs. Or cette façon de procéder présente plus de dangers que d’avantages. Les comédiens élèvent des prétentions exorbitantes qui sont trop souvent acceptées. Les auteurs, se confiant dans les promesses qu’ils ont reçues, se voient déçus dans leurs espérances après plusieurs mois, parfois même après plusieurs années d’attente. Le procès engagé entre M. E. Legouvé et Mlle Rachel est là pour démontrer ce que j’avance. Quelle sera l’issue de ce procès ? Je l’ignore; mais lors même que M. E. Legouvé obtiendrait gain de cause, l’inscription seule du procès au rôle du tribunal serait déjà pour les auteurs dramatiques un motif trop