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héros ou sur un peuple. L’interprétation la plus sensée du nom de Slave ou Slove est donc celui qui a la parole, qui par le l’idiome national de la race, et, par une corrélation de termes qui justifie cette interprétation, l’étranger est celui qui ne parle pas, niemmé, littéralement le muet. La langue est le moyen de reconnaissance du Slave ; c’est par elle que le sentiment de la fraternité se maintient entre toutes les fractions de la race, quelles que soient les diversités de vie sociale ou de condition politique. Telle cette race se montre à nous aujourd’hui depuis la Dalmatie jusqu’aux régions polaires, telle aussi nous l’entrevoyons dès l’aurore de sa résurrection à la liberté. Elle se divisait alors en trois grandes branches, partagées à leur tour en confédérations et tribus. À l’est et sur les fleuves qui descendent dans la Mer-Noire était le rameau des Antes dont j’ai parlé tout à l’heure, et qui avait pour voisins les peuples finnois et asiatiques. À l’ouest se trouvait la branche des Vénètes ou Vendes, qui, appuyés sur la Baltique, confinaient au nord avec les Finnois d’Europe, au midi avec les Germains : ce rameau slave avait été connu de bonne heure par les navigateurs grecs et les voyageurs romains. Entre les deux se trouvait une troisième branche portant un nom dérivé de celui de la race elle-même, les Slovènes ou Sclavènes, qui paraissent n’avoir été qu’un ramas de tribus slaves sans organisation particulière. Chacune de ces divisions principales avait son mode d’action sur le midi de l’Europe et sa future destinée. Tandis que les Antes, cherchant à déborder les Carpathes du côté de l’orient, s’unissaient aux populations hunniques pour attaquer l’empire romain par le Bas-Danube, les Vendes, à l’occident des Carpathes, pesaient sur les peuples germains de la Thuringe et de la Bohême. Les Slovènes intermédiaires, se trouvant acculés au pied de cette chaîne, que les Gépides gardaient bien, se jetèrent à droite ou à gauche, se joignant tantôt aux Vendes, tantôt aux Antes, et c’est ainsi que nous les trouverons mêlés à toutes les grandes entreprises de leur race sur le haut comme sur le Bas-Danube.

L’apparition des Slaves n’eut rien de rassurant pour le monde civilisé : cette nouvelle barbarie présentait un spectacle on ne peut plus sombre et repoussant. Si longtemps asservie sous des conquérans qui consommaient sans produire et pour lesquels elle travaillait, la race slave avait pris les habitudes de la vie sédentaire ; elle connaissait les premiers rudimens des arts, mais sa grossière industrie avait des bornes bien étroites. Ce qu’on appelait ses villes n’était qu’un amas de cabanes malsaines, disséminées sur de grands espaces et cachées comme des tanières de bêtes fauves dans la profondeur des bois, au milieu des marais, sur des roches abruptes, partout en un mot où l’homme pouvait aisément se garer de l’homme. La misère