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tranquillité complète succédèrent à ces courses de brigands ; puis la guerre recommença en 538, mais plus sérieusement cette fois.

Les Barbares avaient bien choisi le moment pour tenter une attaque sur le nord de l’empire, dont toutes les troupes étaient engagées en Italie. Le sort même de Bélisaire, bloqué dans les murs de Rome, put sembler quelque temps compromis ; c’est ce qu’avaient pensé les Franks, qui de l’alliance des Romains venaient de passer à celle des Goths moyennant la cession de la province narbonnaise. Présentant à tous les peuples germains la cause des Goths comme celle de la Germanie elle-même, ils les excitaient à prendre les armes, espérant créer une forte diversion du côté du Danube. Les Germains, à leur tour, ne manquèrent pas d’exciter les populations de race différente qui étaient voisines du fleuve. Ce fut probablement par suite de ces provocations que les Antes, les Bulgares et les Huns repassèrent leurs limites en 538. Ne trouvant point d’obstacles à leur marche, ils s’éparpillèrent dans toutes les directions. Trente-deux châteaux forcés en Illyrie, la Chersonèse de Thrace envahie, la côte de l’Asie-Mineure dévastée par une bande qui franchit l’Hellespont entre Sestos et Abydos, furent les événemens désastreux de cette guerre. Une autre bande qui s’avança jusqu’aux Thermopyles, trouvant le passage fermé d’une muraille, tourna le défilé par les sentiers de l’Œeta, et, se jetant sur l’Achaïe, la ravagea jusqu’au golfe de Corinthe. Comme une inondation se retire des ruines qu’elle a faites, les Barbares regagnèrent ensuite leur pays, repus de carnage, chargés de dépouilles, et maîtres de cent vingt mille prisonniers romains qui étaient pour eux un butin vivant.

Justinien désespéré reprit alors le grand travail de défense auquel il avait coopéré sous le règne de son oncle, et que d’autres besoins lui avaient fait suspendre. Il le reprit avec une activité que rien ne ralentit plus. Ce fut une œuvre prodigieuse qui embrassa non-seulement la rive droite du Danube et l’intérieur des provinces de Scythie, de Mésie, de Dardanie et de Thrace, mais, au-delà du fleuve, tous les points importans de la rive gauche qui avaient été abandonnés depuis deux siècles. Singidon, Viminacium, Bononia, Ratiaria, Noves, en un mot toutes les grandes places de la haute et de la Basse-Mésie sortirent de leurs ruines ; toutes furent réparées, beaucoup furent agrandies : de simples châteaux devinrent des villes, des tours se transformèrent en citadelles, suivant les besoins de la situation. Sur la rive gauche, les forts de Constantin et de Maxence furent réoccupés, et la tour qui servait jadis de tête au pont de Trajan du côté des Barbares, relevée sous le nom de tour Théodora, domina de nouveau les gorges du fleuve. La petite Scythie, route ordinaire des incursions nomades, reçut de nombreux ouvrages de défense, tant