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sur le fleuve que sur la mer. Il s’y trouvait de vieux châteaux démantelés dont les Slaves avaient fait leurs repaires ; on en délogea ces barbares pour y replacer des garnisons romaines. Enfin dans l’intérieur du pays, entre le Danube et l’Hémus, Justinien fortifia tout ce qui était susceptible d’être fortifié. Il fit construire aussi çà et là de grandes enceintes crénelées propres à recevoir, en cas d’invasion, les paysans avec leurs familles et leurs meubles.

Ces précautions salutaires n’étaient pas prises seulement contre les Huns et les Slaves ; la crainte des Gépides y avait bien sa part. Ce peuple, longtemps à la solde de l’empire en qualité d’ami, resta fidèle à l’alliance romaine tant que les Goths, auxquels il servait de contre-poids, occupèrent la Pannonie. Quand ceux-ci eurent transporté leurs demeures en Italie, les Gépides voulurent s’emparer des plaines de la Save, mais ils rencontrèrent l’opposition des Romains, qui revendiquaient pour eux-mêmes la possession du pays. Ils s’en vengèrent alors par des hostilités tantôt sourdes, tantôt déclarées. Ce n’était pas, comme chez beaucoup de peuples germains, la violence franche et brutale qui caractérisait les relations des Gépides avec leurs voisins ; leur politique avait quelque chose de cauteleux et de sournois, qui semblait vouloir singer la politique byzantine. Tout en protestant de leur bonne foi, ils empiétaient chaque jour sur quelque portion des plaines de la Save ; ils se glissèrent même dans les murs de Sirmium, qu’ils refusèrent ensuite d’évacuer. On connut bientôt aussi leur participation aux pillages des Slaves et leurs intrigues avec les Franks. Cette conduite inquiétait à bon droit le gouvernement impérial, qui, absorbé par la guerre d’Italie, sentait sa faiblesse sur le Danube. Pour se garantir de ce côté, Justinien fit descendre les Lombards du plateau de la Bohême, où ils étaient comme en observation, et leur abandonna, sur la rive droite du Danube, non-seulement l’ancien domaine des Ostrogoths en Pannonie, mais aussi la partie du Norique qu’avaient habité les Ruges avant leur passage au-delà des Alpes. Il concéda ces territoires aux Lombards sous les conditions de sujétion politique et de service militaire attachées au titre de fédéré. C’était une barrière vivante qu’il voulait placer entre les Gépides et lui. Anastase avait fait la même chose en petit quelques années auparavant, en colonisant des Hérules dans les campagnes de Singidon. Cet expédient, fort usité par le gouvernement romain, ne réussit qu’à demi cette fois, à cause du caractère des Lombards, réputés féroces et turbulens entre tous les Germains. Leur nouvelle position ne leur fit point démentir leur renommée : ce furent assurément de rudes voisins pour les Gépides, qu’ils étaient chargés de tourmenter, mais ils ne se montrèrent guère plus doux pour les provinces romaines qu’ils étaient chargés de défendre. La vue de ces