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grande lorsque la circulation du sang est profondément troublée, lorsqu’à la suite d’un désordre physique les fonctions régulières ne s’opèrent plus. Alors des organes qui dans l’état physiologique n’avaient aucune liaison directe avec le cerveau lui communiquent, par un rapport sympathique qui s’établit entre eux, leur propre inflammation, et réciproquement reçoivent du cerveau une disposition inflammatoire. De là les formes étranges et multiples que prennent l’hystérie et l’hypochondrie, formes qui déroutent tous les jours nos praticiens. Les symptômes des maladies les plus graves se présentent, la puissance de certaines facultés physiques ou morales est portée à un degré extraordinaire, et la sensibilité est tellement exagérée ou pervertie, que l’on a pu croire à des sens nouveaux, à la vision par l’épigastre, à la vertu divinatoire, au don des miracles. Aussitôt cependant que la santé s’est rétablie, tous les phénomènes merveilleux s’évanouissent.

Ainsi l’action du moral sur le physique, étudiée scientifiquement, est reconnue assez puissante pour créer de graves et bizarres maladies. D’autre part, ces maladies appartiennent à l’ordre de ces affections nerveuses qui se propagent aisément par l’imitation, et qu’il est également facile de simuler. Tel est le principe qui nous paraît dominer l’histoire des stigmatisés, soit qu’on suive la maladie des stigmates et de l’extase dans son aspect le plus respectable, comme effet réel d’une profonde surexcitation du moral, — soit qu’on l’observe dans les formes singulières que depuis deux siècles surtout l’orgueil et l’imitation lui ont fait contracter.


I.

De toutes les figures que nous offre l’histoire religieuse du moyen âge, il n’en est guère qui ait un cachet plus prononcé que celle de saint François d’Assise. Ce remarquable personnage est le type accompli du moine chrétien et par conséquent du mysticisme, qui est l’âme et l’aliment de la vie monacale. Ce n’est point seulement un simple fondateur d’ordre, qui s’élève par ses vertus au premier rang; c’est un réformateur, un véritable théosophe. Dans l’antiquité il fût devenu un dieu, dans l’Orient il eût été regardé comme un prophète. L’Europe catholique ne pouvait le placer si haut sans porter atteinte à son orthodoxie, mais elle en a fait un saint, un saint qui occupe le faite de la hiérarchie des bienheureux. Sa canonisation a été entourée de tout l’éclat d’une apothéose; ses disciples ont poussé l’admiration jusqu’à le tenir pour l’être le plus parfait qui eût, après la Vierge, paru entre les créatures. Renchérissant incessamment sur leur culte d’amour et d’admiration, ils sont arrivés au point de le