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efforts dans vos propres rues, qui réclament certes tout votre courage et toute votre bonne volonté. Tel est mon avis. J’aimerais à n’en pas dire davantage. »

Ce chef indien avait raison : il ne faisait point tache, lui, dans la nature, ni même dans l’ordre moral; mais les mendians auxquels il donnait l’aumône dans les rues sont une lèpre morale et un objet de dégoût physique : ils ne sont capables que d’augmenter la somme de misère et de crime dans la société, d’engendrer le typhus et de nourrir la peste. L’Indien était un objet de curiosité, il n’était pas un objet de scandale. On a beaucoup parlé des mendians anglais et irlandais; mais ce que je n’ai vu dépeint nulle part, c’est le spectacle honteux et indécent qu’ils présentent. L’artiste lui-même, l’amateur de pittoresque et de beaux haillons n’y trouverait pas son compte. A chaque instant la vue est blessée, et le cœur se soulève autant par horreur que par pitié. J’ai souvent pensé, lorsque je rencontrais ces mendians anglais si tristes et si hideux, aux mendians des pays catholiques, et je n’ai pu m’empêcher d’avouer que l’avantage (si l’on peut employer cette expression) restait aux derniers. L’Italie, l’Espagne, le midi de la France, sont la terre classique des mendians; mais là ils n’ont relativement rien de cet aspect repoussant. Ils peuvent courir nu-pieds, la terre est sèche et chaude; ils peuvent dormir en plein air, l’atmosphère est tiède et pure; leurs vêtemens, composés de pièces de toutes couleurs, leur donnent une apparence pittoresque et presque gaie. Ils sont relativement décens, ce sont les dandies de la mendicité. Le climat leur permet de se passer de bien des choses dont les hommes du Nord ont un besoin absolu. Les mœurs traditionnelles ont familiarisé leurs concitoyens avec cet étalage sur la voie publique de plaies et de haillons. Pour l’Anglais au contraire, un mendiant est un objet auquel jamais il n’a pu s’habituer, et qu’il traite avec une rudesse qui blesse souvent l’étranger nouvellement débarqué. Le climat défend d’aller à demi nu; aussi le mendiant anglais n’est pas seulement un être choquant, il est encore un être absurde. Il est absurde en effet de marcher nu-pieds sur des pavés boueux et d’aller sans chemise sous le brouillard. De toutes les populaces en un mot, la populace anglaise est la plus laide et la plus repoussante.

C’est pourtant cette populace que le digne M. Vanderkiste s’est chargé pendant six ans de prêcher, de catéchiser et de moraliser. A-t-il réussi, et les succès qu’il a obtenus valaient-ils la peine qu’il s’est donnée ? Nous en doutons. Son livre renferme bien quelques anecdotes de voleur converti, de prostituée repentante, de mendiant vertueux, mais il est trop évident que les exceptions ne font que confirmer la règle générale; cette populace a le cœur fermé et endurci, elle n’a pas d’yeux pour voir ni d’oreilles pour entendre. Le