Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 8.djvu/515

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mais secrètement, des mesures analogues à celles qui composent aujourd’hui la charte du socialisme. On a vu l’influence et les tendances de la bourgeoisie. Pour la féodalité, elle n’avait sans doute plus tout son ascendant moral ; mais, concentrée entre des mains puissantes, elle avait gagné en énergie ce qu’elle avait perdu en étendue. Retrempée du reste par la guerre, qui avait été son berceau, par là retombant un peu dans l’état barbare, elle devait supporter difficilement à l’avenir la discipline de cette hiérarchie qui avait été sa gloire et sa raison d’être. Elle était, et c’est ce qui causa sa ruine, entraînée à désirer la continuation des querelles. Maintenant qu’elle se trouvait les armes à la main, elle allait donc essayer de rentrer par la force dans les villes, d’où la diplomatie bourgeoise l’avait chassée, dans le gouvernement de la patrie, où la royauté ne lui avait plus laissé qu’une place restreinte et diminuée de jour en jour.

On n’a pas généralement aperçu ces germes de la guerre sociale qui menaçait de suivre la guerre civile, et on n’a vu dans Louis XI qu’un tyran de mélodrame. On en a fait aussi l’adversaire exclusif de la féodalité, et en cela encore on ne l’a guère compris. Sans doute ce mépris des formalités inutiles qui est propre aux esprits puissans et actifs, ce dédain des manières, de la pompe, de l’étiquette, qui distingue les génies indépendans maîtres d’une position incontestée, ce masque de bonhomie, cet amour des contes grivois et des facéties grossières, cette astuce, cette diplomatie tortueuse préférées à la force ouverte et au bruit des armes, tout cela lui a donné l’apparence d’un bourgeois. Sans doute aussi la puissance que la bourgeoisie devait aux circonstances et surtout à sa propre habileté a forcé Louis XI à s’occuper plus spécialement d’elle et à paraître la protéger quand il ne faisait que la surveiller. On l’a ainsi nommé le roi de la bourgeoisie, mais il a trompé l’histoire, comme il a trompé ses contemporains ; l’apparence a caché la personne. Incontestablement, dans les pays comme la Normandie, où la noblesse était encore redoutable, Louis XI encouragea les influences bourgeoises, accorda des foires, des privilèges, des franchises, fit des visites et de belles harangues aux bonnes villes, et passa fort gravement la revue des milices armées ; mais là où, puissante et orgueilleuse, la bourgeoisie essaya de réveiller quelqu’une des traditions d’indépendance qu’avaient caressées ses pères, il la traita plus rudement peut-être que la féodalité elle-même. En somme il n’était l’ennemi ni de cette féodalité, ni de cette bourgeoisie ; il était vraiment le roi, c’est-à-dire l’adversaire implacable de toute indépendance de caste et de toute tendance fédérative. Il était le roi en ceci encore, que sa brutalité même sauva non seulement la patrie, mais souvent l’avenir de ces classes contre qui elle s’exerçait. C’est surtout dans la ville de Reims que l’on peut observer la querelle de ces diverses classes, la lutte sourde de la diplomatie communale contre la royauté, et nulle part la politique de Louis XI, comme aussi les tendances du populaire, de la bourgeoisie, de la féodalité, ne furent plus curieusement caractérisées.

Pendant son sacre à Reims, Louis XI s’était trouvé dans une position difficile : connaissant le mauvais vouloir du plus grand nombre des anciens serviteurs de Charles VII, il n’avait pu refuser l’honneur que voulait lui faire Philippe de Bourgogne, et celui-ci l’avait accompagné à Reims à la tête