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« Dans la cour de la forteresse, — près de la pâle tourière, — ainsi qu’un limier battu, — se tient le futur, dévoré — Par la honte.

« Sur la plus haute tourelle, — semblable au génie de la mort, — se tient le tyran, le père à cheveux blancs. — Comparée à sa voix, la folle tempête — semble douce.

« Et avec toutes les malédictions — dont on puisse charger un enfant, — il voue à la fureur de la tempête — la plus belle, la meilleure, la dernière — de son nom. »


Avant d’en finir avec les ballades de Longfellow, nous noterons encore ces quelques stances, encore inédites, d’une pièce sur la mort du duc de Wellington, et qui a pour titre le Chef des cinq ports[1]. Après avoir décrit le lever du soleil chassant devant lui les nuages de brume, après avoir dépeint le retour à la vie et au mouvement des villes et des forteresses de la côte, le tambour qui bat, le canon qui gronde, les voix qui de partout s’interpellent et se répondent, «leur but à tous, dit-il, était-ce donc d’arracher à son sommeil le gardien des cinq ports ? — Hélas ! » s’écrie-t-il,


« Nul rayon de soleil, nul roulement de tambour, nul coup de canon, si retentissant qu’il soit, plus ne le réveillera, lui, désormais !

« Plus jamais maintenant, de son œil impartial, surveillant tout, plus Jamais on ne le reverra à son poste, ce vieux et austère maréchal !

« Car dans la nuit un guerrier solitaire, vêtu d’une noire armure, un guerrier que les hommes redoutent et qu’ils nomment le Destructeur, a seul escaladé la muraille du rempart.

« A pas muets il entra dans la chambre du dormeur, chambre silencieuse, ténébreuse ! et à mesure qu’il avançait, plus profonds devenaient et le silence et les ténèbres.

« Il n’hésita point, ne dit mot, ni ne se cacha; mais d’un coup abattit l’antique sénéchal! Quel coup! toute l’Angleterre en tressaillit, et ses gémissemens retentirent jusqu’à ses plus lointains bords !

« Cependant au dehors le canon se taisait, le soleil se levait éclatant et calme, et dans l’aspect de toute la nature rien n’annonçait qu’un grand homme venait de mourir. »


La partie la plus considérable des poésies lyriques de Longfellow est l’œuvre de sa première jeunesse, et n’en vaut pas moins pour cela. Le poète américain ne compte pas encore quarante ans, et il est probable que les productions de son âge mûr n’auront rien à envier comme élan à celles de sa naissante verve; déjà d’ailleurs, comme perfection plastique, il avait, ainsi que Shelley, atteint dès le début

  1. On n’a pas oublié qu’une des dignités du duc de Wellington l’appelait à séjourner quelques semaines de chaque année sur la côte, en sa qualité de lord warden of the cinq ports. C’est au château de Walmer près Douyres, et pour ainsi dire dans l’exercice de ses fonctions, comme le rappelle Longfellow, qu’il est mort par une belle matinée d’automne et au moment où, pendant tant d’années, le premier coup de canon l’avait toujours trouvé levé et prêt à la besogne.