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forme et nulle part, sauf en silhouette et sur une surface plane. Si on pensait que par là nous voulons déprécier ce genre de création et que nous rapetissons bien l’artiste en lui attribuant une toile pour tout royaume, nous n’avons qu’une chose à répondre : c’est que toutes les conquêtes des Michel-Ange et des Raphaël ont été accomplies dans ce domaine. De fait, c’est là la région où l’art donne ses grands coups d’aile, alors qu’il cesse de parler la langue vulgaire des sens et de raconter des histoires pour leur amusement, et qu’il prend son essor vers le foyer suprême de son essence, pour s’enivrer lui-même de ses divins attributs, libre de toutes les exigences des sentimens humains, et sans autres lois que celles de ses propres harmonies. Ceux qu’une haute aspiration pousse à le suivre doivent être prêts à vouer leur vie au labeur et à la pensée, car une telle excellence est sainte, et on ne la gagne que par les veilles et la prière. Le manteau du prophète ne-tombe pas sur tous ceux qui s’humilient pour adorer et qui ceignent leurs reins pour agir. Pourtant la tendance seule fortifie, et le travail qu’elle provoque ne peut manquer de produire, sinon des fruits du premier ordre, au moins des mérites très estimables. Et ainsi, sans quitter la page de M. Maclise, nous y trouvons beaucoup des qualités qui appartiennent à cette manifestation suprême du sentiment plastique : un grand empire sur le dessin et la composition, la richesse et la variété dans les combinaisons de formes et de groupement, et cette facilité magistrale qui est un accompagnement si nécessaire de la fécondité; mais il faut plus que tout cela pour qu’une œuvre ait droit aux premiers honneurs. Il faut surtout de la majesté et de l’élévation, et le tableau de M. Maclise en manque; sa couleur aussi est d’une dureté uniforme et vitreuse qui fatigue et ahurit comme le retentissement trop prolongé d’un instrument de cuivre avec ses notes mordantes et sans variété.

Après avoir payé notre tribut au talent de M. Maclise, et un peu aussi aux proportions de sa toile comme à celles de sa réputation, nous avons hâte de mentionner un ouvrage, bien petit de surface, et qui n’est guère autre chose qu’un paysage, mais sur lequel l’admiration peut dignement s’arrêter. Le Prophète désobéissant, par M. J. Linnel, réunit tous les élémens d’une création épique. Les formes et l’effet y respirent la grandeur; la couleur est pleine et profonde, et elle semasse en une harmonie sombre et mélancolique, parfaitement en accord avec un jugement de Dieu, avec le prophète coupable gisant à terre auprès du lion vengeur et avec le groupe des voyageurs que l’épouvante a soudain arrêtés au milieu de l’obscurité de la forêt. Quand un homme possède et déploie de telles puissances, son œuvre, de quelque nature qu’elle soit, se classe d’emblée parmi