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dans toute la sphère de l’art moderne ne l’étonnerait autant que nos peintures dramatiques. Avec les matériaux qui ont été les leurs et qui sont les nôtres, il serait difficile de composer aucune autre combinaison qui ressemblât aussi peu aux résultats qu’eux-mêmes en ont tirés. Les combinaisons des modernes vont-elles de pair avec les leurs ? sont-elles meilleures ou pires ? Nous ne trancherons pas la question; nous dirons seulement que, pour nous personnellement, ces drames peints sont froids, calculés et sans intérêt, quand ils ne nous choquent pas par la dissonance d’un groupe de physionomies et d’attitudes où tout remue et d’une surface colorée où ne règnent que le silence et la laideur de la mort. Devant ces drames, nous ne pouvons nous défendre d’une sensation assez analogue au demi-frisson et à l’indicible répulsion que causent des figures de cire, si voisines de la vie, et pourtant sans vie.

Mais, à vrai dire, cette recherche même du drame se rattache à quelque chose de plus général, à un parti pris d’imitation, dans la seule pensée d’imiter, ou, pour employer le mot consacré, à un réalisme qui tend à la fois à devenir le caractère dominant de l’art moderne et à en faire une chose radicalement différente de l’art ancien. On pourra opposer certains exemples fournis par les vieilles écoles, et plus particulièrement par les Hollandais et les Flamands; mais entre cette vérité et celle du pinceau contemporain nous ne saurions admettre qu’il y ait rien de similaire. L’intérieur le plus fini d’un Gérard Dow fait toujours l’effet d’une image, d’une combinaison fantasmagorique, tandis qu’un sujet analogue exécuté par un peintre du jour nous cause le même genre de sensation qu’une réalité. Pourvu qu’on isole son regard, le tableau prend des apparences de solidité matérielle, et cette espèce de succès tient surtout à ce que l’artiste s’est appliqué du premier coup à mettre en place ses lumières et ses ombres, à poser les colorations locales des objets où il les voyait, sans tenir compte des propriétés intrinsèques des tons, et sans se demander seulement quels procédés il pouvait ou devait employer. Le degré de souplesse naturelle que l’on a dans la main décide du point où l’on peut s’élever dans l’échelle de ces tentatives d’imitation, à partir des sujets les plus faciles, comme les natures mortes, jusqu’à la figure humaine. Les chairs seules dépassent la portée de ce mode de peinture, et c’est ainsi que nous voyons chaque jour des tableaux où les étoffes luisent et frissonnent, où les fauteuils semblent s’avancer vers notre main, tandis que les carnations, sauf des cas très rares, sont aussi mortes et aussi dures que le plus lourd des accessoires.

Et il est bon d’appeler l’attention sur une des conséquences naturelles de ces tendances au calque littéral. En devenant de plus en