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généralité des hommes. Les académies et les systèmes actuels d’enseignement, s’ils n’ont point semé le germe de ce genre de style, ont au moins servi de pépinière à la jeune pousse, qui, bien que toute nouvelle dans le monde, a déjà atteint de robustes proportions. Dans l’espace de ces vingt-cinq dernières années, la peinture dramatique a perfectionné son instrument avec une étrange rapidité. Chez ceux qui s’y livrent, la vérité de la mise en scène et la convenance de la mimique sont entendues avec une expérience et une précision qui n’ont pu être conquises qu’à force de persévérance et d’actes d’intelligence. Une science enfin a été créée, et si peu de valeur que les chefs de cette école aient, suivant nous, comme artistes, on ne peut nier qu’ils se soient montrés très distingués comme hommes.

En comparant les anciens aux modernes, il n’y a pas d’illusion à se faire. Dans l’art de raconter une histoire ou de reproduire une image, les vieux maîtres ont été considérablement dépassés, et si la perfection du drame était réellement la perfection de la peinture, il faudrait ne voir en eux que des novices. Eux, ils représentaient les objets par des types et sans jamais tenter de tromper l’œil par des effets de relief et de perspective vraie; leurs peintures veulent être des peintures; elles ne se proposent point de rendre la figure sensible d’une scène réelle pas plus que de se montrer érudites dans la métaphysique et la psychologie des actions humaines. L’auteur des Noces de Cana s’est peu soucié de faire croire aux spectateurs qu’ils avaient sous les yeux un vestibule, avec des colonnes de marbre et une assemblée d’hommes et de femmes attablés à un festin. Un habile peintre de décors, aidé d’un élève quelque peu expert de l’Académie des Beaux-Arts, produirait sans peine un tableau beaucoup plus rapproché du fait, beaucoup plus parfait comme imitation. En se plaçant devant la toile qu’il voulait remplir, ce que Paul Véronèse vit en esprit, ce furent des couleurs et des splendeurs flottant par masses sur toute cette étendue. Au sommet il plaça la lumière vague et pâle, puis il la fit descendre sous des tons francs, mais délicats, et augmentant peu à peu l’intensité des teintes dont il la revêtait, il en vint à l’étendre toute resplendissante dans la région inférieure de son tableau. Les draperies et les riches étoffes qui tiennent la moitié de son espace ne furent pour lui qu’une occasion et une raison de déployer des couleurs, et il mit dessous des personnages pour leur donner une forme et une place. De prime-saut, le peintre s’était élevé jusqu’à l’art; il n’avait pris que ses ordres pour les transcrire dans leur propre langage et avec leur jet spontané, auprès desquels la phraséologie méticuleuse et didactique du conteur d’histoires semble si boiteuse et si terre-à-terre. Si Titien, ou Corrége, ou en vérité tout autre des anciens maîtres pouvait revenir ici-bas, rien