Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 8.djvu/678

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

On a dit, il y a longtemps, qu’un point de vue très intéressant de notre histoire serait de montrer surtout comment s’est formée notre grande unité nationale par l’accession, l’incorporation, l’effacement successif de plusieurs petites unités indigènes longtemps distinctes et même antipathiques, comme quelques-unes de nos provinces du midi et du nord. Ce que le temps a fait pour une telle œuvre, ce qu’a fait la guerre, la violence, ce qu’a fait le rapprochement graduel des mœurs, la diversité ou l’identité ancienne des langages, l’influence d’une civilisation et d’une littérature dominante, formerait dans cette étude historique autant de tableaux divers et attachans. Mais la loi qui préside à de telles réunions serait bien difficile à retrouver et à suivre avec certitude. Consultez-vous la langue, les mœurs, ce signalement principal de l’unité d’un peuple ? La ville de Valenciennes, résidence passagère des Mérovingiens, ne fut conquise par les armes françaises et réunie à la France par un traité qu’en 1678, et dès le milieu du XIVe siècle Valenciennes était la patrie et la première école du plus Français de nos vieux écrivains, Froissart, de celui qui rendait le mieux dans notre idiome du temps le génie chevaleresque et la gaieté guerrière des Français d’alors. Plus loin de notre frontière, Liège, autre ville réellement française, où le seigneur évêque protégea et inspira Froissart, n’a été réunie à la France, dont elle est une alluvion, que pendant une vingtaine d’années de nos plus grandes guerres, de nos plus grands débordemens de conquêtes, et on s’effraie de songer à tout ce qu’il faudrait aujourd’hui de remaniemens à l’orient et à l’occident de l’Europe pour ajouter à la France cet appendice qui lui est originairement identique !

Il faut donc reconnaître en principe que bien des conditions sont nécessaires pour rendre possibles ces réunions de territoire, que souvent une seule cause semblerait expliquer. Par là, le sujet qu’a choisi M. d’Haussonville, le point particulier qu’il a pris sur la carte de la France actuelle nous parait doublement instructif et piquant. Comment la Lorraine, si naturellement adhérente à la France, en affinité avec elle de mœurs et de langage, entraînée et comme enclavée dans la sphère de cette grande puissance dès le milieu du XVIe siècle par notre possession des trois évêchés, Metz, Toul et Verdun, ne fut-elle cependant incorporée à notre état français qu’en 1766, dans la langueur du règne de Louis XV ? Y a-t-il donc des conquêtes à la portée d’une époque de décadence ? y a-t-il des accroissemens amenés par le temps, rendus inévitables, qui échoient comme un fruit mûr tombe dans la main la plus débile ?

Quoi qu’il en soit de ce dénouement, ce qui le précéda, ce qui le suspendit, le rapprochement social dans le divorce politique, et pour