Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 8.djvu/70

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Cette pensée fut celle de toute la vie de Joseph Bonaparte, à Naples comme en Espagne, et il avait à peine mis le pied sur le sol où on l’envoya régner, qu’il l’exprimait avec éclat, convaincu qu’en la révélant, il s’assurait à la fois et le droit et la force.


« Peuples du royaume de Naples, disait-il en pénétrant dans ces belles provinces, l’ancienne dynastie avait renoncé à votre amour et oublié que l’affection d’un peuple est le plus précieux des droits que puisse avoir un souverain à le gouverner. Je n’ai trouvé parmi vous que les impressions de la terreur que vous avaient inspirée les injustices de votre cour. Ne craignez plus; le cours de ses vengeances est terminé. Unissez-vous d’affection, de confiance et de zèle aux mesures que je prends pour améliorer vos finances, pour diminuer vos besoins, pour vous assurer la justice et la paix. Que la nation soit sans inquiétude et sans alarmes : elle éprouvera dans peu les effets des intentions bienfaisantes de l’empereur et des soins qui m’ont été recommandés pour rendre à ce peuple toute sa splendeur et toute son ancienne prospérité. Vos magistrats sont conservés. Je n’imposerai aucune contribution de guerre; je ne souffrirai pas que vos propriétés soient lésées en aucune manière; enfin il dépendra de vous de n’avoir connu de la guerre que le nom[1]. »


A peine proclamé roi, Joseph se mit résolument à l’œuvre, multipliant ses efforts pour concilier le rôle de commandant en chef d’une force armée étrangère, qui se considérait comme vivant en pays ennemi, avec celui d’un prince réformateur qui prétendait représenter dans les Deux-Siciles un intérêt puissant et légitime. L’appui non équivoque qu’il rencontra dans les hautes classes lui permit de constituer un ministère qu’il composa de seigneurs et de magistrats napolitains, en leur adjoignant quelques hauts fonctionnaires français dont l’empereur l’avait autorisé à utiliser les lumières et le dévouement. Il établit dans les provinces une administration qui jusqu’alors existait à peine en dehors de l’enceinte de la capitale; puis, abordant les difficultés par leur racine même, il supprima la féodalité, de l’avis unanime de son conseil. C’était faire rentrer sous la juridiction de la couronne quatorze ou quinze cents principautés, duchés et baronies, petites souverainetés que leurs seigneurs visitaient à peine une fois dans leur vie, tant l’abord en était inaccessible, et qui ne leur rapportaient guère que le droit d’y entretenir quelques hommes d’armes et d’y faire rendre en leur nom par leurs agens une justice odieusement vénale. Pour ces modifications profondes à un ancien ordre de choses qui ne se survivait que dans ses abus les plus révoltans, le nouveau roi obtint le concours de la noblesse presque tout entière, concours qui se conçoit d’autant mieux, que le système des propriétés

  1. Proclamation du 21 février 1806.