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pays sur lequel on l’avait envoyé régner pouvait, même sous une occupation militaire qui ne devait être que temporaire, conserver des pouvoirs distincts et une sorte d’existence propre, — et en travaillant avec ardeur à cette œuvre, il crut demeurer fidèle à cette pensée de progrès continu sous la suzeraineté impériale qui était le fond même du programme napoléonien pour sa politique extérieure. Il aspira donc à se faire aimer plus encore qu’à se faire craindre, et ne crut pas impossible d’être roi de Naples en demeurant prince français.

Ce n’était malheureusement point ainsi que l’empereur comprenait l’application de son vaste système. Il entendait lier les pays tributaires à la France beaucoup moins par l’avantage qu’ils rencontreraient à la servir que par l’impossibilité matérielle où on les mettrait de lui résister. Joseph voulait ménager les Napolitains pour les amener à aimer la France; Napoléon entendait les écraser pour n’avoir jamais à les craindre. Il répugnait au roi d’imposer des contributions de guerre qu’il avait pris le solennel engagement d’épargner aux populations inoffensives; il entrait dans le plan très arrêté de l’empereur que ces contributions fussent frappées d’une part pour épuiser le pays, de l’autre pour améliorer le sort de son armée. L’un s’efforçait d’éviter les révoltes, et l’autre aspirait à les voir naître; le premier craignait, en répandant le sang, d’élever un obstacle entre lui et le pays; le second tenait avec Machiavel les révoltes et les exécutions militaires pour indispensables à la consolidation de toute conquête. Joseph travaillait à instituer un gouvernement appuyé sur l’assentiment des classes intelligentes, et se flattait de rattacher fortement celui-ci à la France par l’influence naturelle des institutions et des idées; Napoléon tenait un tel espoir pour ridicule et chimérique. Il déclarait n’avoir foi qu’en la force pour maintenir l’édifice que la force avait élevé. Inquiète de l’avenir, même dans la plénitude de sa puissance, sa pensée se reportait souvent sur un retour de fortune; il se supposait battu sur l’Isonzo, contraint d’évacuer Venise, menacé de perdre l’Italie, et avec une justesse de vues que les événemens ont pleinement confirmée, il faisait pressentir à Joseph la réaction inévitable sous le coup de laquelle tomberaient bientôt les créations artificielles par lesquelles la France croyait avoir transformé l’Europe. Étrange sagacité, qui devient la condamnation la plus éclatante du système dont on pénétrait aussi clairement les conséquences !

Convaincu qu’il n’y a nulle espérance de faire accepter sincèrement aux populations soumises la suprématie impériale. Napoléon ne demande qu’une chose aux princes de sa famille chargés d’appliquer ses instructions au dehors : augmenter à tout prix ses propres ressources maritimes et militaires pour soutenir la guerre contre