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premier; le Château de Trezzo fut lu avec empressement. On oublia volontiers la faiblesse de l’action et du dialogue, les négligences de style, les erreurs de faits et même de couleur historique; on remarqua à peine que l’auteur faisait bien le portrait des habits, mais jamais celui des personnes, que s’il racontait beaucoup et longuement, on pouvait encore, après l’avoir lu, se demander quel était au juste le sujet de son livre. On n’eut d’yeux et d’oreilles que pour ces scènes de souterrains, de brigands et de cachots qu’on trouvait alors émouvantes, et qui avaient passionné tour à tour l’Angleterre et la France. Aujourd’hui que le goût a fait justice de ces engouemens passagers, qui donc lit, en Italie même, le premier roman de M. Bazzoni ? L’auteur du Château de Trezzo eut beau prendre sa revanche plus tard dans un nouveau récit, Falco della Rupe, infiniment supérieur au premier : cet ouvrage passa presque inaperçu. Peut-être la position officielle de l’auteur dans l’administration autrichienne lui fit-elle tort aux yeux des patriotes italiens, mais une cause plus sérieuse explique l’indifférence du public : les Fiancés avaient paru.

Il ne saurait entrer dans notre plan de nous arrêter sur le remarquable roman de Manzoni; seulement il importe, pour apprécier l’école d’écrivains que ce livre a suscitée, de dire quelques mots des qualités qui ont étendu et prolongé jusqu’à nos jours l’influence de l’illustre romancier. Résigné, par conviction religieuse, à toutes les volontés du ciel, paisible bourgeois de Milan depuis tant d’années sans que les révolutions lui aient appris le chemin de l’exil, Manzoni a flétri l’occupation étrangère par le simple récit des maux qu’elle engendre, et sa modération même, son imperceptible sourire, sa douce, mais incisive ironie, plaident plus éloquemment en faveur de l’autonomie des peuples que ne le feraient les plus énergiques imprécations. Je doute que ce fût là le but qu’il se proposait : il ne voulait sans doute que faire un roman de mœurs nationales dans le goût de son temps; mais, par entraînement, il a choisi l’époque de la domination espagnole, si propre à fournir des allusions contre la domination autrichienne. La conscience de l’érudit, le talent du conteur ont fait le reste, et l’Italie a compté non-seulement un bel ouvrage de plus, mais un acte, un premier pas dans cette voie des souvenirs historiques et nationaux qui lui ont rendu le sentiment de ses droits et de ses devoirs.

L’alliance de la fiction et de l’histoire devenait pour l’Italie, grâce à Manzoni, un moyen de se recueillir, d’opposer son passé au présent, et de reprendre en quelque sorte possession d’elle-même. Une école se forma dès lors, et dans un groupe d’écrivains décidés, les uns par la simple ambition du succès, les autres par de plus sérieux mobiles, à suivre la voie tracée, on put remarquer quelques physionomies dignes d’une mention ou d’un souvenir, même au rang secondaire où l’imitation les avait placés. Il y eut les romanciers purement érudits à côté des disciples plus fidèles à l’exemple du maître; il y eut aussi quelques tentatives originales qu’il convient de ne pas oublier.

Un vieillard presque octogénaire aujourd’hui, M. Rosini, professeur à l’université de Pise et connu déjà par des travaux sérieux et quelques poésies, fut le premier à marcher sur les traces d’un maître plus jeune que lui.