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et dispersées dans tous les pays tributaires, ces fortunes y demeurant seules considérables, par l’effet même des dispositions du code civil. Il présente enfin celui-ci comme l’instrument le plus puissant de la domination française au dehors.


« Puisque la Calabre s’est révoltée, pourquoi ne prendriez vous pas la moitié des propriétés du pays pour les distribuer à l’armée ? Ce serait une ressource qui vous serait d’un grand secours, et en même temps un exemple pour l’avenir. On ne change et on ne réforme pas un état avec une conduite molle; il faut des mesures extraordinaires et de la vigueur. Comme les Calabrais ont assassiné mes soldats, je rendrai moi-même le décret par lequel je confisquerai à leur profit la moitié des revenus de la province, particuliers et publics; mais si vous commencez par prendre pour principe qu’ils ne se sont pas révoltés, et qu’ils vous ont toujours été attachés, votre bonté, qui ne sera que faiblesse et timidité, sera très funeste à la France. »

« Envoyez-moi, écrit-il encore à Joseph en 1806, tous les matériaux sur les mesures odieuses dérivant du droit de conquête qu’il serait nécessaire de prendre, en faisant cependant le moins de mal possible au pays. Il faut établir dans le royaume de Naples un certain nombre de familles françaises, qui seront investies des fiefs, soit provenant de l’aliénation qui serait faite de quelques domaines de la couronne, soit de la dépossession de ceux qui ont des fiefs, soit des biens des moines en diminuant le nombre des couvens. Dans mon sentiment, votre couronne n’aurait aucune solidité, si vous n’aviez autour de vous une centaine de généraux, de colonels et autres, et des officiers attachés à votre maison, possesseurs de gros fiefs dans les royaumes de Naples et de Sicile. Je pense que Bernadotte, Masséna, devraient être fixés à Naples avec le titre de princes et avec de gros revenus qui assurassent la fortune de leur famille. Ce moyen, je le prends pour le Piémont, pour l’Italie, pour Parme; il faut qu’entre ces pays et Naples il ressorte la fortune de trois ou quatre cents officiers français, tous jouissant de domaines qui seraient dévolus à leurs descendans par droit de primogéniture. Dans peu d’années, cela se mariera dans les principales maisons, et le trône se trouvera consolidé de manière à pouvoir se passer de la présence d’une armée française. »

Lorsque l’on comprenait ainsi les droits issus de la conquête, il était fort naturel que l’on s’inquiétât beaucoup de l’avenir de celle-ci. Aussi n’est-il pas une des lettres de l’empereur à son frère qui ne fasse toucher au doigt tout ce que dans la pensée même du conquérant il y a d’artificiel et de menacé dans l’édifice si audacieusement élevé par son génie, et qui ne tende à présenter les peuples assujettis comme frémissant sous le joug et en disposition constante de s’en délivrer. « Lorsque vous employez un Napolitain, répète-t-il sans cesse à Joseph, demandez-vous toujours ce que ferait cet homme-là le jour où je serais défait par l’Autriche et où l’empire serait menacé ! »