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sous le nom de Scamares, infestaient le voisinage de l’Hémus, où ils avaient leurs repaires, se posta sur la route qu’il devait suivre au retour, mit l’escorte en déroute, et enleva les chevaux, les voitures et tout ce qu’elles contenaient. Justin fit courir après les voleurs, dut restituer à Baïan ce qui lui avait été enlevé, sous peine de passer pour complice du vol. aux yeux des Avars. Tel était le déluge de misères et d’ignominies que cet insensé faisait pleuvoir sur le monde romain.

En effet, les tristes événemens de la Pannonie n’étaient qu’un épisode de la ruine universelle qui s’étendait sur l’empire. Le roi de Perse Chosroès envahissait l’Asie-Mineure et la Syrie ; les Lombards conquéraient l’Italie ; la vie romaine s’en allait de toutes parts. Sous le poids de ces désastres qui faisaient la condamnation de son orgueil, la faible intelligence de Justin s’égara ; il devint fou. En proie à des accès de démence furieuse, il ne voyait plus que des ennemis, il voulait tuer tout ce qui l’approchait ; puis, revenu à lui, il demandait pardon à tout le monde en versant des torrens de larmes. Cet homme présomptueux, qui devait éclipser tous les empereurs, se sentit enfin incapable de gouverner et prit pour régent, sous le nom de césar, Tibère, ce général qui venait d’échouer fatalement contre les Avars, mais dont les talens militaires, le caractère généreux et la vie irréprochable promettaient aux Romains la réparation de leurs maux, Tibère-César releva l’empire en Asie par la défaite de Chosroès, et aida Rome à se garantir des Lombards. Proclamé auguste en 578, à la mort de Justin, il continua ce qu’il avait commencé comme césar. S’il ne fit pas davantage, ce fut plus la faute de sa fortune que la sienne ; Tibère userait grand dans l’histoire, s’il eût été toujours heureux.

Tandis que les Ouar-Khouni prenaient racine au centre de l’Europe sous le nom emprunté d’Avars, leurs anciens maîtres les Turks, se rapprochant graduellement des contrées occidentales, se mettaient en relation avec les Romains. Devenus possesseurs des contrées qui forment aujourd’hui le Turkestan, et se trouvant voisins, c’est-à-dire ennemis de la Perse, ils comprirent qu’ils avaient intérêt de s’allier aux Romains, et cette ambassade de reproches et de menaces adressée à Justinien par le seigneur des sept climats aboutit, sous Justin II et Tibère, à une alliance offensive contre Chosroès. À la faveur des rapports politiques se nouèrent des rapports commerciaux entre les deux nations ; des marchands et même des curieux, suivant les ambassades envoyées dans l’empire, visitèrent Constantinople, et les historiens nous disent que vers la fin du VIe siècle, cette ville renfermait un grand nombre de Turks dans ses murs. Toutefois, malgré l’empressement de ce peuple et les marques de son amitié intéressée,