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Pétersbourg veut garder. Un état n’est vraiment riche que lorsque ses revenus dépassent ses besoins. Le trésor russe aurait beau recevoir chaque année 900 millions; s’il dépense un milliard, il est pauvre, et le chemin de la banqueroute s’ouvre devant lui. La publicité des recettes et des dépenses en Russie, voilà le seul moyen d’établir que nous avons exagéré la faiblesse de cet empire, et que l’apologiste de ses finances n’en a pas exagéré la solidité. Nous acceptons l’épreuve ; M. de Tegoborski peut-il nous garantir que le gouvernement russe s’y résignera ?

Au surplus, les ressources d’un état sont en définitive celles de la population. Si la guerre diminue le commerce, trouble l’industrie et enlève les débouchés essentiels à l’agriculture d’un pays, il est impossible que ce pays, même en se saignant des quatre veines, paie la même somme d’impôts. M. de Tegoborski a trop battu les sentiers de l’économie politique pour contester des vérités aussi élémentaires; mais il biaise et cherche à les ébranler par l’accumulation de cinq ou six petits argumens qui reposent sur des faits mal compris. Suivant lui, le commerce extérieur de la Russie a peu souffert du blocus, une bonne partie ayant pris la voie de terre, et en tout cas les charretiers russes y ont beaucoup gagné. Je ne voudrais pas troubler la satisfaction patriotique de M. de Tegoborski à l’endroit des charretiers, mais je lui ferai remarquer qu’il n’est nullement certain que les acheteurs étrangers aient fait les frais de cette dépense. Le prix des denrées se règle sur le marché par le rapport qui existe entre l’offre et la demande; or l’offre a dû très souvent excéder la demande, attendu que les Anglais notamment, en se détournant des ports russes, étaient allés s’approvisionner en Australie, au Canada et aux États-Unis. Or, si l’offre a excédé la demande, les frais accessoires de transport ont dû retomber à la charge des expéditeurs; les charretiers russes ne se sont donc partagé que les dépouilles des propriétaires russes ou des marchands.

Mais voici une théorie bien autrement extraordinaire. M. de Tegoborski prétend que, le commerce extérieur fût-il absolument paralysé, la prospérité de la Russie s’en ressentirait à peine; la raison, c’est que « la valeur totale des importations et des exportations ne représente pas un sixième des viremens du commerce intérieur. » Dans toutes les contrées, les échanges que font entre eux les habitans d’un même pays ont une importance bien supérieure à la somme des échanges qu’ils font avec les pays étrangers; cela ne veut pas dire cependant qu’ils pussent renoncer sans dommage à ces rapports que la diversité des climats, des aptitudes et des produits établit entre les nations. La Russie, en y renonçant volontairement ou contre son gré, fera même un sacrifice plus grand que tout autre peuple, car l’importance de ces relations tenait bien plus à leur nature qu’au chiffre d’affaires qu’elles représentaient. La Russie était payée, six mois ou même une année à l’avance, des marchandises qu’elle envoyait au dehors. Le commerce extérieur fournissait ainsi le fonds de roulement à l’aide duquel marchait le commerce intérieur lui-même;