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et comme il avait un esprit prêt à tout, un trait rapide et net, il faisait de ses récits périodiques des tableaux pleins d’animation. Une de ses plus remarquables études fut sur la Russie, et elle n’a point encore perdu son intérêt. M. Loève-Veimars avait quitté la vie littéraire pour la diplomatie en 1840, et il avait porté dans sa nouvelle carrière toutes les ressources de son intelligence. C’était un de ces hommes, on peut le dire, qui sont faits pour toutes les situations. Il était récemment à Caracas comme chargé d’affaires, et il allait partir pour Lima au moment où une mort prématurée est venue éteindre ce vif esprit, qui a tant semé de sa verve un peu partout, et qui ne laisse peut-être qu’un livre, recueil de quelques-uns de ses articles, — le Népenthès. Bien que devenu diplomate et livré à d’autres travaux, M. Loève-Veimars n’en a pas moins sa place dans ce mouvement confus de la génération émancipée en 1830, et il a laissé son souvenir particulièrement ici même, où il a pu observer l’histoire contemporaine à une époque plus agitée pour la France, et qui ne l’était pas moins pour l’Espagne, déjà engagée dans le labyrinthe étrange de ses révolutions.

L’Espagne a cet avantage d’être revenue aujourd’hui au point où elle était à cette époque. Depuis trois mois, elle a vécu certainement dans des circonstances très hasardeuses. Elle vient d’arriver enfin au jour de la réunion des cortès. Le 8 novembre, l’assemblée constituante a été inaugurée à Madrid solennellement, et elle a même déjà nommé un président provisoire : c’est le général Evaristo San-Miguel qui a été élu. Ce n’est point sans peine que l’Espagne a pu atteindre ce jour où la représentation nationale se trouve avoir, elle aussi, sa part de responsabilité dans les destinées qui vont être assurées au pays ; ce n’est pas sans avoir vu se produire jusqu’à ces derniers temps quelques-uns de ces incidens où se révèlent toutes les perturbations des esprits et toutes les incertitudes de la situation qui se prolonge depuis quelques mois. Un des plus caractéristiques de ces incidens à coup sûr, c’est ce qui est arrivé au sujet de la présentation d’une députation de la milice nationale à la reine par le général San-Miguel. C’était indubitablement une démarche assez simple. Le général San-Miguel avait choisi le moment où la milice nationale était définitivement habillée et équipée, pour présenter les officiers à Isabelle. Qu’arrivait-il cependant ? D’une part, on attribuait à cette démarche le sens politique d’un acte de dévouement envers la reine, et c’est à ce titre surtout qu’elle apparaissait comme une garantie d’ordre et de conservation. D’un autre côté, on accusait gravement le général San-Miguel de se constituer le chef des prétoriens, de jeter l’épée des miliciens dans la balance, et de préjuger la question monarchique, que les cortès seules pouvaient résoudre. Le général San-Miguel s’est vu même obligé d’écrire plusieurs lettres pour se défendre, fort naïvement ce nous semble, du rôle qu’on lui attribuait. La présentation n’en a pas moins eu lieu ; mais, pour balancer l’effet de cette démonstration, les officiers de la milice, au sortir du palais, se sont rendus aussitôt chez le duc de la Victoire, et Espartero les a harangués en protestant que la volonté nationale s’accomplirait : mot d’ordre énigmatique sous lequel se cachent tous les projets ! Un autre épisode qui n’est pas moins étrange, c’est une allocution adressée par le ministre de la marine, le général Allende Salazar, aux provinces basques, qui l’ont nommé député. Ministre d’Isabelle II, M. Attende Salazar disait tout simplement à ses compatriotes qu’ils n’avaient