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auxquels assistaient des étrangers, et avant d’en avoir donné de véritables preuves, il s’était fait une réputation de future éloquence. Son père charmé n’en doutait pas, et se consolait par ces espérances des chagrins politiques de ses vieux jours. Lady Caroline, sa mère, aux mêmes espérances mêlait plus d’inquiétudes. Elle disait un jour à lord Holland : « J’ai vu ce matin lady Chatham, et il y a là un petit William Pitt qui n’a pas huit ans, et qui est réellement l’enfant le plus distingué que j’aie jamais vu, élevé si régulièrement et si correct dans sa conduite que, remarquez bien mes paroles, ce petit garçon sera une épine dans le côté de Charles pendant toute sa vie. »

A cette époque. Fox, de dix ans plus âgé que ce rival à venir, quittait l’université et visitait Paris pour la troisième fois, puis le reste de la France et de l’Italie, et en revenant en Angleterre il faisait à Ferney la visite obligée que tout homme d’esprit ou voulant en avoir devait au génie du siècle. Voltaire lui dit qu’il venait pour l’enterrer, se promena avec lui dans son jardin, lui offrit du chocolat et le congédia. « Voilà des livres dont il faut se munir, » avait-il jouté en lui montrant quelques-uns de ses écrits les moins orthodoxes. Fox parcourait encore le continent, lorsqu’en 1768 il fut élu le bourg de Midhurst, quoiqu’il n’eût pas les vingt et un ans exigés pour siéger en parlement. Ce ne fut pourtant pas ce motif qui l’empêcha d’y entrer sur-le-champ, mais un nouveau voyage. Il partit pour la Hollande et retourna à Florence et à Rome. Cependant il fallut bien revenir à Westminster. Il rapportait de ses courses l’habitude du monde, la connaissance familière du français et de l’italien, le goût de la dissipation, la passion de la comédie et l’amour du jeu. « J’ai besoin, écrivait-il à son ami Robert Macartney, d’un exemple tel que le vôtre pour me faire vaincre ma paresse, dont lady Holland vous dira des prodiges. Vraiment, je crains qu’elle ne finisse par l’emporter sur le peu d’ambition que j’ai, et de n’être jamais rien qu’un garçon fainéant. » Heureusement il avait pour combattre sa paresse plus d’ambition qu’il ne croyait, un esprit plein de feu, une âme hardie et le désir de bien faire tout ce qu’il entreprenait. Il n’essayait pas, ou il ne s’arrêtait que dans la perfection.

Mais plus d’une épreuve lui restait à traverser avant de trouver sa voie. On a vu qu’il avait été élevé dans une sorte de torisme de cour. Son père, mécontent des autres et de lui-même, était sorti de la carrière avec beaucoup d’ennemis et une durable impopularité. Affilié par ses alliances à la plus haute aristocratie, beau-frère du duc de Richmond, frère de lord Ilchester, il n’avait plus qu’une ambition que même alors on trouvait singulière, celle d’un titre de comte. En se plaignant des ministres, il les ménageait et soignait la cour qu’il accusait de l’oublier. Son fils avait accepté sans trop d’examen ses