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commençait par invoquer le souvenir de la triple alliance des cours du Nord, laquelle, disait-il, a été si longtemps la gardienne de l’Europe. En présence de la guerre actuelle, ajoutait-il, son souverain se croyait obligé de faire un appel sérieux à ses amis et à ses alliés. Leur intérêt mutuel exigeait qu’ils définissent la ligne de conduite qu’ils adopteraient en face des événemens. « La politique des puissances occidentales, reprenait M. de Nesselrode, n’a pris nul souci des intérêts de l’Allemagne. Telle ne sera pas la conduite de la Russie. Elle est décidée à supporter seule le poids de la guerre, et ne demandera à ses alliés ni appui ni sacrifice. Le salut des deux puissances allemandes et celui de la confédération dépendent de leur union. Unies, elles pourront arrêter le développement de la crise et peut-être en hâter la solution. » M. de Nesselrode passait ensuite en revue trois hypothèses au sujet de l’attitude que pourraient prendre les états allemands : alliance avec la Russie contre les puissances occidentales, union avec ces dernières contre la Russie, enfin stricte neutralité. Le cabinet de Pétersbourg retirait lui-même la première hypothèse : il ne prétendait pas à une alliance. Quant à la seconde, il la considérait comme impossible, à moins que les puissances allemandes ne cédassent aux menaces des puissances occidentales. « Elles se soumettraient alors à une nécessité outrageante, et iraient au-devant d’un avenir digne de commisération. La Russie, inattaquable chez elle, ne craint ni les invasions militaires ni l’esprit révolutionnaire. Si ses alliés l’abandonnaient, elle en prendrait note en se confiant à ses propres forces, et en s’arrangeant de manière à pouvoir se passer de leur concours à l’avenir. Mais l’empereur a confiance dans les sentimens et les dispositions connues de ses amis et alliés, et dans la valeur de leurs armées, qui sont unies depuis si longtemps aux siennes par l’identité de principes et le baptême du sang. » Le cabinet de Pétersbourg regardait donc la troisième hypothèse comme seule digne des cours allemandes, seule d’accord avec leurs véritables intérêts et comme également propre à réaliser les vœux de la Russie, en leur permettant de continuer à jouer le rôle de médiatrices; mais cette neutralité ne devait être ni indécise, ni flottante, ni expectante. Une semblable attitude serait sans nul doute considérée comme hostile par les parties belligérantes et principalement par la Russie. « L’attitude des puissances allemandes doit au contraire s’appuyer sur les principes qui, à travers de longues épreuves, ont maintenu l’ordre général et la paix du monde. » Elles devaient être prêtes à soutenir cette politique les armes à la main. Si l’une des deux puissances maritimes avait l’imprudence de risquer une attaque contre l’Allemagne, la ligne politique de l’autre pourrait bien ne pas rester la même; dans tous les cas, l’Allemagne pouvait