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l’émotion de la prophétesse gagne Mathilde, qui, les yeux fixés sur l’horizon, tressaille et se sent défaillir. Etranges feux de joie en effet : on dirait la forêt tout entière qui flambe. Aux sinistres lueurs de l’incendie qui se rapproche, le tocsin mêle ses hurlemens. — Les momens pressent, et, tandis que le comte va cherchée à rassembler ses gens, Melück s’empare de la comtesse, elle l’entraîne, à travers les corridors du château, jusque dans la chambre obscure où la mystérieuse poupée est renfermée. Arrivée là, notre magicienne ordonne à Mathilde, sous peine de mort, de ne point bouger, et la précipite inanimée entre les bras de l’automate, qui se referment sur elle instantanément, comme ceux d’un squelette. Puis, cette incantation dernière une fois accomplie, Melück sort de la chambre, en retire la clé et s’éloigne, la tête et les épaules enveloppées dans le châle de la comtesse. Sur ces entrefaites, une bande de pillards vient d’envahir le château, que Saintrée, abandonné de ses domestiques, n’a pu défendre. Au moment où Melück traverse la cour, une servante que la jeune comtesse avait chassée naguère, croyant reconnaître Mathilde, la désigne à la sainte vengeance du peuple, qui, dans cette nuit d’orgie sanglante, n’a garde de laisser échapper une si belle occasion de mettre à bas une aristocrate de plus. Melück tombe donc sous le couteau des égorgeurs, et à la même minute le comte expire subitement à l’autre bout du château, sans blessure apparente, sans qu’on puisse constater le moindre désordre physique ; Saintrée meurt simplement du coup qui a tué Melück, car ils n’avaient à eux deux qu’une seule et unique vie, et ces deux natures liées fatalement dans l’existence devaient l’être aussi dans la mort.

Quanta Mathilde, délivrée des étreintes de l’automate par le docteur Frenel, vieil ami de la famille, elle échappe à la crise menaçante qui suit cette terrible nuit. Quelque temps après, nous la retrouvons paisiblement retirée en Suisse, avec ses trois beaux enfans, dont les traits lui rappellent Melück, cette noble et généreuse amie, cette âme voyante et fidèle en qui l’Orient aurait durant des siècles vénéré une de ses plus illustres pythonisses, et qui s’est contentée de prophétiser bourgeoisement le sort d’une maison à laquelle son affection l’avait unie.


III. – CAROLINE DE GÜNDERODE.

Cette romantique anecdote, que le poète est censé raconter pendant une promenade au clair de lune sur le Rhin, se termine par une sorte d’épilogue que je vais essayer de traduire et qui m’amène naturellement à dire quelques mots d’une personne avec laquelle Arnim et sa femme vécurent toujours en communauté d’intelligence.