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elle ne serait plus la poésie, ce grand principe mystérieux que nous recherchons et qui nous recherche, et qui a pour mission de rallier dans une éternelle communion les hommes que la terre a divisés. »

Telle est la théorie un peu métaphysique qu’Arnim a surtout mise en pratique dans les Kronenwaechter, peinture à larges traits, inégale parfois, mais toujours chaudement colorée, de la transition du moyen âge allemand à la période moderne. Le soleil des Hohenstaufen se couche à l’horizon, la liberté civile commence à naître, la bourgeoisie se fonde, et devant la noblesse du cœur et de l’esprit, affirmant leurs droits de plus en plus, s’efface la croyance jusqu’alors incontestée au privilège exclusif de certaines races, souches éternelles de toute puissance et de toute grandeur. Les personnages chargés par le poète de représenter cette crise de l’histoire sont tous accusés de main de maître, et vous voyez passer devant vous Luther, le duc Ulrich, Kunz de Rosen, et ce noble empereur Max, qui, dans sa fureur d’étreindre le monde, perd de vue sa chère Allemagne, écrase la chevalerie de la façon la plus chevaleresque, et semble toujours avoir en lui-même la pierre d’achoppement de toutes ses entreprises.

Du bloc de l’histoire habilement fouillé dégager le détail, le trait individuel anecdotique, Arnim, lorsqu’il traduisit les chroniques de Froissart, ne se proposait pas d’autre but ; car si on peut lui reprocher parfois d’être un historien trop plein de fantaisie, il faut aussi avouer qu’il sait mettre de l’histoire jusque dans ses ombres chinoises. Arnim voit les moindres choses en philosophe ; à ses yeux, rien ne meurt, tout se perpétue, et l’œuvre humaine si passagère lui apparaît comme un signe de l’éternité, vers laquelle nous tendrions en vain, si elle-même ne dirigeait notre activité terrestre et ne se montrait à notre foi du sein de cet enthousiasme sacré que produit le travail. On comprend ce qu’un pareil romantisme a de ferme, de positif, et combien peu lui reste à faire pour se rattacher définitivement au catholicisme ; aussi les Allemands l’appellent-ils le romantisme du passé. En opposition à cette église, qui fut celle de Novalis, ils ont imaginé le romantisme de l’avenir, religion flottante, ne s’inspirant que des pressentimens du cœur et des extases du cerveau, et qui pour grande-prêtresse eut Bettina, pour première néophyte, hélas ! Caroline de Günderode.

Nous voudrions, dans la première partie de cette étude, avoir fait comprendre le caractère général des récits d’Arnim, récits sans doute variés à l’infini, mais trop souvent restés à l’état de simples ébauches. Romancier, poète, philosophe, historien à sa manière, Arnim se manifeste toujours dans la plénitude ou dans la confusion de ses facultés qu’il n’a point pris la peine de débrouiller ; car de la