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j’entendais dire de toutes parts des charmantes qualités de mistress Brown avait piqué ma curiosité, et l’un des plus grands plaisirs que je me promettais de la partie prochaine était sans contredit de faire connaissance avec cette jeune femme aimable pour tous, sauf pour mes compatriotes, ainsi que m’en avait averti mon ami de Madras.

Le jour du pique-nique, vers six heures et demie du matin, le major Bull et moi nous quittâmes l’hôtel de M. Dawson, montés sur deux bons poneys et suivis d’un troisième, porteur d’une cantine que mon compagnon, homme de prévoyance, avait soigneusement garnie. J’avais sans doute jusqu’ici apprécié à leur juste valeur les vertus privées de mon ami Bull, mais j’étais loin de soupçonner l’adoration fougueuse qui brûlait sous sa froide écorce pour les beautés de la nature et les points de vue pittoresques. J’eus bientôt à en faire l’expérience. Au bout d’une heure de marche au plus, nous venions d’arriver au bord d’un petit torrent, où coulait une eau limpide, dont quelques rares touffes d’herbes léchaient le cristal, quand mon compagnon déclara n’avoir rencontré de sa vie un endroit plus pittoresque pour un matinal déjeuner. Je donnai mon assentiment à cette proposition; nous démontâmes, la cantine fut ou verte, et ce ne fut qu’après avoir consciencieusement arrosé un plat de sandwiches d’une bouteille de bière que nous nous remîmes en route; mais nous n’avions pas fait deux milles, qu’en face d’un petit ravin planté d’héliotropes et de géraniums sauvages, le major Bull affirma de nouveau, par Jove et par George, que de sa vie il n’avait vu d’endroit mieux disposé pour une légère collation. J’accédai sans résistance à son désir; nous mîmes une seconde fois pied à terre et ne remontâmes en selle qu’après une halte de plus d’un quart d’heure que mon ami n’employa pas exclusivement à admirer les richesses du règne végétal. Le soleil marchait rapidement vers son zénith, la chaleur de ses rayons était devenue insupportable, lorsque Bull, en extase devant un panorama des plus vulgaires, m’annonça pour la troisième fois que si lieu au monde pouvait engager des voyageurs à prendre un rafraîchissement, c’était assurément celui où nous nous trouvions. J’étais saturé jusqu’au gosier de bière et de sandwiches; des pas tout frais de chevaux m’indiquaient clairement la route que j’avais à suivre, et j’opposai un refus formel aux offres du major, que j’abandonnai définitivement assis sur le gazon, et beaucoup plus préoccupé, quoi qu’il en dît, de mettre à sec une bouteille de stout que de contempler les splendeurs du paysage. Depuis vingt minutes environ, je continuais ma route solitaire, lorsqu’une scène d’un intérêt assez saisissant se présenta subitement à ma vue. A quelque distance devant moi, une dame à cheval se trouvait arrêtée aux bords d’un ruisseau. Une vingtaine de pas la séparaient à peine d’un troupeau