Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 10.djvu/1055

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à travers la Grecs libre, quand vous aurez examiné les véritables Grecs, ceux qui ont un foyer ou qui vivent attachés à la terre, qui naviguent ou qui labourent, qui trafiquent ou conduisent des troupeaux, quand vous aurez maintes fois rencontré sous de pauvres vêtemens les types que l’art antique a rendus immortels, alors vous aurez le droit de condamner un peuple né d’hier, de flétrir ceux que vos pères ont tant aimés : vous aurez vu quelque chose de plus que de faux Grecs dans les salons de Paris ou de faux Parisiens dans les salons d’Athènes.

Je n’ai point mission pour juger tel les Grecs, j’ai désiré seulement en appeler d’un arrêt qui ne me semble pas établi sur des bases équitables, persuadé qu’en France on ne prononce jamais en vain les mots de justice et de générosité.


II

La destinée de la Grèce moderne est d’avoir toujours excité l’intérêt et d’avoir toujours été mal jugée. Aujourd’hui c’est le peuple grec que l’on calomnie ; jadis c’étaient les chefs-d’œuvre, héritage de ses pères, que l’on méconnaissait. Nous nous trompons en politique ; on se trompait en matière d’art.

Athènes était à peine tombée aux mains de Mahomet II, qu’elle commençait à attirer l’attention de l’Europe, non plus de l’Europe féodale, qui, pendant les croisades, s’était taillé dans les terres classiques des marquisats et des duchés, mais de l’Europe savante, à laquelle les exilés de Constantinople enseignaient déjà leur langue, leur histoire et le respect de leurs aïeux. Cependant ni les récits des voyageurs, ni les descriptions des Grecs eux-mêmes ne répondirent à la curiosité de l’Europe. L’Orient d’ailleurs se fermait aux chrétiens ; les voyages présentaient alors autant de péril qu’ils offrent aujourd’hui de charme ; les monumens de l’art étaient peu accessibles, et si les visiteurs étaient rares, ils étaient par surcroît fort ignorans.

Ce n’est point moi qui le prends sur ce ton sévère ; j’écoute un antiquaire français, le docteur Spon, au moment où il publie, en I674, la naïve description d’Athènes par le père Babin. Qu’on lise plutôt ces lignes tirées de sa préface au lecteur curieux :

« Ceux qui parlent d’Athènes dans des relations de voyages ou dans les géographies le font avec si peu de connaissance et avec tant de mépris, qu’on voit bien qu’ils s’en rapportent à des auteurs qui mesurent son ancienne grandeur avec ce qui en reste, qui est assurément très peu en considération de ce qu’elle a autrefois été. Peut-être aussi qu’une partie de ceux qui disent l’avoir vue dans leurs voyages ne l’ont vue que de loin, cachée de la colline sur laquelle