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Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 10.djvu/1063

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architectes ; les premiers, ils apprennent aux savans combien les études techniques leur sont nécessaires. Un artiste anglais, Stuart, initie l’Europe à l’intelligence des chefs-d’œuvre de la Grèce. Ses travaux ont pu être complétés par ses successeurs : jamais ils ne seront effacés. Revett, continuateur de Stuart, Leroy, architecte français, prennent une part glorieuse à cette restitution des ruines de la Grèce ; Leroy eut même l’honneur de précéder Stuart. Déjà une rivalité louable s’élève entre la France et l’Angleterre. Tandis que les dilletanti de Londres publient les monumens de l’Attique et de l’Ionie, le comte de Choiseul-Gouffier explore les mêmes contrées et demande à la plaine de Troie un vivant commentaire de l’Iliade. Vers le même temps, Herculanum et Pompéi sortent des laves qui les ont ensevelies tout ensemble et conservées ; l’Étrurie ouvre les trésors de ses tombeaux ; la Sicile et la Grande-Grèce, interrogées à leur tour, produisent les merveilles qui avaient été oubliées pendant tant de siècles. Partout l’art grec se révèle, partout il se fait goûter et bientôt comprendre. Comme s’il eût seul contenu les principes de la science, c’est à cette époque seulement que la science véritable, que l’archéologie est fondée. Winckelmann doit son génie à l’art grec ; il fait reposer sur lui toute son œuvre. Le comte de Caylus, Lessing, Heyne, Emeric David, Quatremère de Quincy, Visconti, suivent un maître aussi illustre : ils répandent l’amour du beau et propagent les saines doctrines. On sait quel fut le résultat de leur prédication : la renaissance du XIXe siècle, la renaissance classique.

Dès lors l’archéologie n’a point cessé de conduire le progrès. C’est elle qui éclaire les voyageurs et qui inspire les artistes ; c’est elle qui, par ses patiens enseignemens, assouplit le goût moderne, l’accoutume à trouver la grandeur dans la proportion, la beauté dans la mesure, la perfection dans la simplicité ; c’est elle qui le fait pénétrer jusqu’à l’essence même de l’art grec, en discutant les problèmes auxquels nos idées répugnaient, en analysant des nuances si délicates qu’elles semblaient insaisissables. Ce mouvement scientifique remplit dans l’histoire une longue et belle page, et ce sera peut-être, devant la postérité, un des titres du XIXe siècle. La destinée présente d’Athènes, les jugemens portés contre les Grecs modernes, m’ont arraché des plaintes justes autant qu’elles sont sincères ; mais notre époque, comparée aux siècles précédens, a du moins ce double honneur : elle a témoigné aux descendans d’une race privilégiée une sympathie qui l’engage dans l’avenir ; elle a appliqué aux chefs-d’œuvre de l’ancienne Grèce l’étude la plus intelligente et l’admiration la plus vraie.


E. BEULE.