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encore que celui-là. Henri Jenkins, né à Bolton, dans le comté d’York, vers 1501 et mort en 1670, assista à l’âge de douze ans à la bataille de Flodden, et parut en justice 130 ans plus tard. Sa dernière occupation était la pêche, et on assure qu’à cent ans il pouvait encore nager. Le Hongrois Jean Rowin ou Rowir mourut en 1750, âgé, dit-on, de 172 ans. Sa femme, Sara Dessen, serait morte un peu plus tôt à l’âge de 164 ans, et son fils aîné aurait atteint sa cent quinzième année, ce qui a permis de faire un rapprochement entre cette famille et celle d’Abraham. On rapporte qu’en Norvège Joseph Surrington mourut en 1797 à l’âge de 160 ans, et comme si ces 160 ans n’étaient pas déjà une assez grande merveille, on ajoute qu’il laissait un fils aîné de 103 ans et un autre de 9 seulement, qu’il aurait eu par conséquent à l’âge d’un siècle et demi !

La France a nourri de nombreux centenaires. Le premier nom qui s’offre à l’esprit est celui de Fontanelle, le savant et spirituel historiographe de l’Académie des Sciences[1]. Un comte de Vignacourt, ambassadeur de France à Vienne, mourut, dit-on, en 1700, dans l’exercice de ses fonctions, à l’âge de 103 ans. En 1810, un médecin nommé Dufournel fut présenté à Napoléon à l’âge de 112 ans accomplis ; il s’était cassé la jambe à 101 ans, et en vécut 120. Le célèbre peintre de marines, Joseph Vernet, a figuré dans un de ses tableaux représentant le port de Marseille un vieillard, surnommé Annibal, qui mourut en 1759 dans sa cent vingt-deuxième année. Le 23 octobre 1789, un habitant du mont Jura, âgé de 120 ans, fut introduit devant l’assemblée nationale, qu’il remercia au nom de ses compatriotes « d’avoir, disent les journaux du temps, dégagé sa patrie des liens de la servitude. » En 1842, M. Lejoncourt a dédié sa Galerie des Centenaires à M. Noël de Quersonnières, ancien commissaire-général des armées, alors âgé de 114 ans, et le même auteur a donné le portrait d’une femme de même âge, nommée Elizabeth Durieux.

Nous n’avons pas besoin de multiplier davantage ces exemples. La preuve nous semble acquise que l’homme peut quelquefois parvenir à un siècle et demi d’existence. Un siècle et demi serait donc à peu près la durée de la vie extrême. Dans son curieux ouvrage sur la Longévité humaine, M. Flourens pense même que cette durée est susceptible de sa prolonger jusqu’à deux siècles. Une autre conséquence paraît ressortir des faits de longévité constatés dans différens pays : c’est que le nombre des personnes qui atteignent cent ans est assez considérable pour que le tenue de la vie naturelle ne soit pas beaucoup au-dessous de cet âge. Les considérations physiologiques dans lesquelles nous devons entrer maintenant nous conduisent à la même conclusion.


III

Aristote a entrevu le premier chez les animaux un rapport direct entre la durée de l’accroissement, de la gestation, et la durée totale de la vie. Sur

  1. On connaît le quatrain de Voltaire à Mme Lullin :
    :Nos grands-pères vous virent belle.
    :Par votre esprit vous plaisez à cent ans.
    :Vous méritez d’épouser Fontenelle,
    :Et d’être sa veuve longtemps.