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hâtée, ou qui peut dans quelques cas se prolonger davantage. L’étendue de ces divers âges s’accorde bien avec celle que leur donnait Pythagore ; seulement le nombre 4 étant le plus parfait aux yeux de ce philosophe, il n’y avait pour lui que quatre âges, et il terminait impitoyablement la vie à quatre-vingts ans. Au-delà de cet âge, il ne comptait plus personne au nombre des vivans. En cela, César fut pythagoricien : « César, dit Montaigne, à un soldat de sa garde recreu et cassé qui vint en la rue lui demander congé de se faire mourir, regardant son maintien décrépit, répondit plaisamment : Tu penses donc être en vie ? » Ce n’est pas ici le lieu de décider si au-delà de quatre-vingts ans on a tort ou raison d’exister ; il nous suffit de constater que le cinquième âge est dans l’ordre naturel des choses.

En résumé, les chiffres de la statistique, les faits que l’histoire a enregistrés et les données que fournit la physiologie nous amènent à conclure : 1° que la durée moyenne de la vie est aujourd’hui en Europe de trente-six à quarante ans ; 2° que la durée ordinaire est à peu près de soixante-quinze ans, 3° que la durée anormale est au moins d’un siècle, et demi ; 4° enfin que la durée naturelle n’est guère moindre qu’un siècle. Ce dernier résultat n’est pas nouveau. Haller, Buffon et d’autres physiologistes l’ont proclamé depuis longtemps, mais sans preuves suffisantes. Il vient de revêtir le caractère de la certitude sous la plume habile de M. Flourens. Plus nos connaissances s’accroissent, et plus cette vérité se dégage nettement de l’ensemble des faits.

Cicéron a dit : « Si courte que soit la vie, elle est toujours assez longue, pourvu qu’elle ait été bonne et honnête. » Belle parole ! parole d’un sage, mais que d’ordinaire les vieillards prisent peu ! Ils veulent l’existence à la fois bonne et longue, et, si elle est douloureuse, ils parleront plutôt comme Mécenas dans La Fontaine, l’auteur de Werther, devenu vieux, ne disait-il pas à son tour : « Aimable vie, douce et chère habitude d’exister et d’agir, me faudra-t-il donc renoncer à toi ? » Comme ce sentiment est inhérent à notre nature même, partout et toujours on a cherché les moyens de conserver la vie et d’en étendre le cours. Les premiers efforts tentés pour en reculer les limites remontent à l’origine de la médecine. C’était le principal but de la gymnastique chez les Crées, et la gérocomie a compté des adeptes dans toute l’antiquité. Le moyen âge, avide et crédule, n’a pas déployé plus d’ardeur à la poursuite de la transmutation des métaux qu’à la préparation des quintessences de longue vie. Il est curieux de connaître ce que les alchimistes entendaient par une longue vie. C’est celle, dit Paracelse, dont le terme n’arrive qu’entre neuf cents et mille ans, ou qui pour le moins se compose de six cents années. Les temps modernes ont eu aussi leurs élixirs et leurs procédés mystérieux, et le siècle présent n’est pas resté complètement en arrière sur ceux qui l’ont précédé dans la recherche de la longévité. Seulement, à mesure que la science a progressé, l’art de prolonger la vie semble s’être restreint de plus en plus, et il se borne maintenant à un ensemble de soins et de précautions purement hygiéniques. On ne tente plus aujourd’hui de rappeler la vie dans un corps usé en le rapprochant d’un enfant, ainsi que l’ont prescrit Galien, Paul d’Egine et le grand Boerhaave lui-même, ni de réparer un sang que l’âge a appauvri par la substitution d’un sang plus jeune, ainsi qu’on l’a essayé plusieurs fois à Paris. Encore moins songe-t-on