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COMTE WILLY




Dans une de mes courses au pays de Galles, je fus conduite par le hasard à m’arrêter dans le château de S… Ce vieux château était situé au fond d’une vallée solitaire, au bout d’un étang entouré de tous côtés de longues armées de chênes séculaires et de rochers à pic qui formaient autour comme une espèce de cirque. Toute cette nature était sévère, mais cependant d’une végétation riche et verdoyante. À côté d’un bois touffu s’étendait une belle prairie, et sous les fenêtres, du côté du midi, un parterre plein de fleurs annonçait les soins d’une main attentive et d’un goût délicat. Il y avait dans ces aspects divers de la grandeur et de la sérénité. À l’entrée du château, cette paix profonde, et qui avait son charme, se changeait peu à peu en une impression triste. Ces grandes salles désertes, avec leurs boiseries noires, leurs sculptures à demi mutilées, les longs corridors sombres à cause de l’épaisseur des murs, les vastes escaliers silencieux montés par quelques rares domestiques, tout sentait le deuil. Un seul maître habitait ce vaste manoir, où j’avais été reçue avec une courtoisie parfaite.

C’était un homme d’une cinquantaine d’années, grand, bien fait, d’une taille svelte, un peu fléchissante, de grands yeux d’un bleu si pâle et si parfaitement immobiles qu’on les eût crus de verre, si parfois des flammes rapides ne les eussent illuminés ; mais ces flammes semblaient comme dardées en dedans ; des manières dignes, quoiqu’un peu gauches, une démarche incertaine, comme celle de quelqu’un qui marcherait à tâtons dans l’obscurité, en tout et toujours