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d’Affis avait fait rendre à Bordeaux un arrêt pour courir sus à un envoyé adressé par le roi d’Espagne à la princesse de Condé, encore que celle-ci occupât la ville et qu’elle s’y défendit alors contre les troupes royales. Bientôt ce mouvement ne tarda pas à s’étendre sous la double inspiration du patriotisme et du bon sens. Les cours de Rouen, d’Aix, de Toulouse, de Metz, de Grenoble, qui s’étaient associées aux arrêts rendus par le parlement de Paris contre le cardinal Mazarin, appuyèrent avec une ardeur plus vive encore la mise hors la loi des fauteurs de l’étranger, traîtres au roi et à la France.

Chaque jour cependant la guerre civile, en divisant les forces de la monarchie, amenait de nouveaux désastres. Dès le commencement des troubles, la France avait perdu Casal en Italie, et s’était trouvée incapable de seconder les efforts de Naples et de la Sicile contre l’Espagne. Bientôt celle-ci avait repris l’importante province de Catalogne, qui, croyant se jeter dans les bras de la France, était tombée dans ceux d’une révolution. Enfin la Champagne et la Picardie avaient vu dans les campagnes de 1651 et de 1652 les armées espagnoles pénétrer sur leur territoire, et si la monarchie avait fini par reconquérir Turenne, c’était après avoir perdu le grand Condé. La fronde, qui n’avait produit ni une idée ni un homme, n’avait donc eu pour résultat que d’ouvrir toutes nos frontières et de flétrir toutes nos gloires. Mais c’était à la terreur qu’inspire l’anarchie qu’il était réservé d’achever l’œuvre commencée par la haine de l’étranger. À Bordeaux, les ducs qui commandaient pour la princesse de Condé avaient dû, afin de maîtriser le parlement et de triompher des résistances de la bourgeoisie, accepter les services sanglans des hommes de l’Ormée[1] ; à Paris, les mêmes embarras conduisirent aux mêmes extrémités. Après le combat du faubourg Saint-Antoine, les princes mettaient à dominer l’assemblée de l’Hôtel-de-Ville autant de prix que celle-ci en attachait de son côté à relâcher des liens qui lui avaient été si funestes. Afin de la contraindre à signer avec eux un acte d’union, le parti aristocratique conçut la coupable pensée de faire intervenir l’émeute, qui ne triomphe jamais des résistances du jour qu’en en préparant de plus dangereuses pour le lendemain. L’émeute alluma l’incendie, la résistance provoqua le massacre. L’acte d’union fut signé avec le sang des magistrats et des citoyens égorgés dans cette horrible nuit à la lueur des flammes ; mais ces cadavres s’élevèrent désormais comme une barrière insurmontable entre la bourgeoisie française et les imprudens auxquels les révolutions n’avaient pas enseigné qu’on périt encore plus vite par ses crimes que par

  1. Nom d’une promenade de Bordeaux où le peuple se rassemblait pendant les troubles de cette ville.