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Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 10.djvu/122

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si cette destinée de famille devait se ressembler en tout point, M. John Stuart occupe dans les bureaux de la compagnie des Indes un poste important, le même peut-être que James Mill y avait longtemps occupé. Voilà donc, en économie politique et pour s’en tenir à ce rapprochement, deux autorités sous le même nom, les deux Mill, chacun avec son caractère, mais unis par un lien évident.

Avant de parler du livre de M. John Stuart Mill, 51 est bon de préciser tout de suite la position qu’a prise l’auteur dans ce grand débat sur la protection et le libre échange qui a si longtemps passionné les économistes. C’est avec une concision voisine du dédain, il faut le dire, que M. Mill parle du régime de la protection appliqué aux industries nationales. Dans le cours de deux volumes, à peine y emploie-t-il huit pages, et encore par manière d’acquit. Il ne lui semble pas qu’une question si élémentaire vaille le bruit qu’on en a fait, et dans tous les cas il s’en réfère à l’expérience éclatante que la Grande-Bretagne vient de conduire à bien. « Les économistes qui ont écrit avant moi des traités, dit-il, ont cru nécessaire de consacrer une grande partie de leur travail et de l’espace dont ils disposaient à cette portion de leur sujet. Heureusement il est devenu possible, au moins en Angleterre, d’abréger beaucoup cette partie toute négative de nos discussions. Les fausses théories qui ont fait tant de mal autrefois sont entièrement discréditées parmi ceux qui ne sont pas restés en arrière du mouvement général de l’opinion. » C’est là une déclaration évasive et un peu hautaine ; elle peut suffire dans les pays où la liberté des échanges a définitivement prévalu ; elle est insuffisante pour ceux où le régime de la protection tient une place considérable dans l’économie des intérêts agricoles et manufacturiers. En France, nous en sommes là, et le dédain ne nous est pas permis.

Les quelques pages où M. John Stuart Mill examine ce sujet n’offrent d’ailleurs ni la clarté ni la solidité qu’on remarque en d’autres parties de son ouvrage. M. Mill rattache le régime de la protection aux erreurs du système mercantile et à cette inévitable question de la rente du sol, qui pèse, depuis Ricardo, sur le cerveau des économistes anglais et y entretient une sorte de nuage. Une semblable donnée n’est ni neuve ni exacte, et l’auteur des Principes y ajoute de son chef un commentaire fort dangereux. En effet, après avoir reconnu que le régime de la protection ne saurait être défendu par aucun argument plausible, il admet qu’en certains cas, sous l’empire de certaines circonstances, des droits protecteurs peuvent être établis temporairement. Ces cas, il les définit ; ces circonstances, il les expose. Chez un peuple jeune par exemple, et à l’origine des arts manufacturiers, une protection prudente et graduée doit avoir pour