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est d’un dessin aussi barbare que les scènes représentées ; tout est en harmonie, le sujet et le tableau. Le sentiment de répulsion que l’un et l’autre inspirent n’en est que plus complet. Cette fois l’art n’a pas déguisé la cruauté : il ne fait que la montrer.

La première scène pourrait se passer en Espagne ; des hommes combattent contre divers animaux sauvages, et l’un d’eux contre un taureau. Je pense que les combats de taureaux ont été légués à l’Espagne par les Romains. On voit, par cette mosaïque, qu’ils faisaient partie des joies de l’amphithéâtre. L’amphithéâtre vit encore de tels combats au moyen âge. Au XIIIe siècle, il y eut dans le Colysée une joute de taureaux, une véritable corrida espagnole ; l’élite de la jeunesse romaine y prit part ; les combattans avaient des devises à demi chevaleresques, à demi classiques : Je combats comme Horace, — je brûle pour Lucrèce, — je veux vaincre pour Lavinie. Toutes les dames de Rome assistaient à ce spectacle ; il y eut dix-sept morts et onze blessés. Jusqu’en ces dernières années on donnait, dans le mausolée d’Auguste transformé en arène, des simulacres de combats de taureaux. Le pape a eu la bonne pensée de les supprimer ; le peuple de Rome n’a pas besoin qu’on l’exerce à la férocité.

Mais retournons à notre mosaïque de la villa Borghèse ; continuons à lire cette page sanglante de l’histoire des mœurs romaines.

Plus loin sont les combats d’homme à homme. On voit les gladiateurs s’attaquer, se poursuivre, se massacrer. Dans le corps de l’un d’eux, on enfonce un glaive ; çà et là gisent des cadavres parmi des flaques de sang. Les vainqueurs élèvent leurs épées en signe de triomphe, et la foule applaudit sans doute, car les égorgeurs ont un air de triomphe. En effet, les gladiateurs tiraient grande vanité de leurs succès. Un bon gladiateur était aimé du public romain comme l’est du public espagnol un toréador favori. Quelquefois même, à en croire Juvénal, il ne déplaisait pas aux grandes dames romaines. L’ignoble renommée qui s’attachait parfois à ces misérables se reconnaît au soin qu’on a pris de mettre à côté d’eux leur nom. Il y en a un qui s’appelle Cupidon.

Des portraits de gladiateurs nous ont été conservés par une autre mosaïque[1]. Celle-ci, mieux exécutée, complète pour nous l’idée de ces êtres abjects et féroces. Toutes les figures sont épaisses, vulgaires, bestiales ; des épaules énormes, des bras massifs, un regard de brute avec des traits d’homme, une face d’animal stupide et méchant. Tels étaient les monstres qu’il fallait former avec soin et en grand nombre, car la consommation était considérable, pour amuser les Romains.

  1. Elle vient des Thermes de Caracalla. Je l’ai vue sortir de terre il y a trente ans ; on l’a placée au musée de Saint-Jean-de-Latran.