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Fuyons cette honte ; allons au Vatican considérer la statue de Lysippe. C’est l’athlète grec dans la plénitude de la force et de la beauté, créature heureuse, intelligente et noble ; en un clin d’œil, il nous fait sentir la différence des peuples, l’intervalle des civilisations. Voici donc celle qui devait détruire l’autre. À cette vue, on se console, et on est prêt à se réjouir qu’il en ait été ainsi.

Les Romains se présentent sous un jour plus respectable quand nous considérons leurs tombeaux ; mais si l’on excepte quelques-uns de ces tombeaux, qui appartiennent à une époque très ancienne et peuvent tenir de l’étrusque, tous rappellent, par leur architecture, les tombes grecques. Évidemment celles-ci leur ont servi de modèles. On n’en saurait douter en considérant les ornemens qui les décorent. J’ai cité le tombeau des Scipions ; je citerai le sarcophage que l’on croit avoir appartenu à la femme de Crassus, Cecilia Metella. Ici encore la différence est dans la grandeur : le tombeau de cette femme est une tour. Au moyen âge, elle a été crénelée pour former le donjon d’un château-fort. Un autre tombeau de la voie Appienne porte aujourd’hui une maison et un jardin. Les tombes romaines offrent en général le portrait du défunt ou des défunts, car souvent toute la famille est représentée par des bustes ou des statues. Les épitaphes qu’on lit sur ces sépultures sont bien romaines, en général graves et brèves, comme celle de Bibulus, cet honnête édile auquel une tombe fut décernée, dit l’inscription, à cause de sa vertu, et qui est encore en possession de cette tombe, située au coin d’une petite rue près du Capitole, quand tant de sépulcres fastueux ont péri ; comme ces simples mots sur la fille des Metellus et l’épouse de Crassus, Oecilioe. Q. cretici. f. Metelloe. Crassi. On voit qu’elle n’a de nom que celui de son père et qu’elle est la chose de son époux.

Le style lapidaire a atteint, chez les Romains, un degré de simplicité, de concision, de majesté que les Grecs n’ont jamais égalé. Les qualités du latin, qualités romaines elles-mêmes, et communiquées à la langue par le génie de ceux qui la parlaient, ces qualités y aidèrent. Les modernes ont rarement connu le grand style des inscriptions romaines, quelquefois les papes l’ont retrouvé.

Les bas-reliefs qui décorent les tombeaux romains représentent le plus souvent des sujets empruntés à la mythologie grecque ; il est curieux d’y étudier l’idée que les anciens se faisaient de la mort. Il faut le dire, cette idée était surtout celle de la fin, non pas envisagée par son côté sombre, mais considérée comme un heureux repos après le fatigant travail de la vie. Jamais de squelettes, de têtes de mort, mais une figure endormie des fleurs à la main, un oiseau qui becquette un fruit ou dévore un papillon, symbole de l’âme ; des chevaux qui s’abattent au bout de la carrière ; des génies funèbres dans l’attitude du sommeil ou éteignant un flambeau renversé, ou enfin