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dans ses investigations, — ensuite politique dans Thucydide et Xénophon, et appuyée sur de grands principes religieux et nationaux, — l’histoire arrivera de plus en plus chargée d’observations particulières et de maximes pratiques jusqu’à Polybe, pour devenir un jour toute biographique et morale dans Plutarque. La tragédie dans Eschyle, grande, simple, mystérieuse comme les colosses de la haute antiquité, se met chez Sophocle à la portée de l’humanité sans pourtant descendre jusqu’à elle ; puis Euripide viendra rabaisser jusqu’à n’être souvent qu’une imitation de la réalité, et jusqu’à effacer la frontière qui la sépare de la comédie. La comédie ne fit qu’accompagnée parallèlement le mouvement commun qui emportait tous les genres d’application de l’esprit. Sortie d’une cause religieuse et rationnelle tout à la fois, elle changea d’objet selon le besoin et l’impulsion du temps, en se développant toujours, passa de l’Olympe à l’Agora, de la religion à la politique, et, chassée de la politique, profita de la répression même pour faire un progrès de plus. Elle aussi devint alors une subtile observatrice du cœur humain, comme sa sœur la philosophie, et se mit à scruter à son tour nos sentimens les plus intimes, les causes les plus profondes des caractères, les détours les plus sinueux des passions.

Cependant, à l’époque où nous arrivons, autant l’esprit était devenu riche, autant les caractères s’étaient appauvris ; or c’est là le grand point dans les choses littéraires aussi bien que dans celles de la société : les grandes pensées sortent du cœur. Malheureusement le cœur humain est trop faible pour se soutenir et rester fort dans l’isolement individuel. Nous sommes les pierres d’un vaste édifice composé de croyances communes et d’affections héréditaires ; chacune n’a de valeur que par sa place dans le tout, et elle se perd dans la poussière, si l’édifice s’écroule. En ébranlant l’édifice religieux de l’antiquité dans ses parties vicieuses, on l’avait renversé en entier ; les symboles les plus conformes à la loi morale, liés aux autres dans un même système désormais irréformable, avaient disparu en même temps et emporté toute foi. Les hommes étaient comme des démolisseurs trop hâtifs, qui, en détruisant leur demeure, n’avaient point songé à s’en élever une autre au même moment ; ils furent, pendant une assez longue période, sans asile contre le doute, et ils errèrent dans leur nuit obscure. C’était une de ces époques où les hommes savent beaucoup et ne croient fortement à rien de ce qu’ils savent. L’état avait péri comme la religion. Le despotisme macédonien avait étouffé toutes les voix austères et les pensées qui tiennent aux intérêts communs ; l’adulation, la volupté et l’érudition minutieuse allaient seules conserver la parole. La philosophie passait à Épicure, car le stoïcisme était trop fort pour trouver beaucoup d’adhérens ;