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vrai, le plus élevé du mot : expression mâle et divine du visage, vigueur athlétique du torse et des membres, l’auteur n’a rien négligé pour exprimer complètement la donnée de la légende. Aussi cette statue obtint-elle en Suède un succès populaire.

À compter de ce jour, Fogelberg devint pour la foule un sujet d’orgueil. L’absence munie ajoutait à son nom une nouvelle grandeur ; on s’entretenait de ses travaux comme d’un intérêt public, comme d’une gloire nationale. Il ne revit son pays que deux fois, en 1845, en 1854 ; mais la statue d’Odin, objet d’une admiration générale, avait gravé son nom dans toutes les mémoires, et jamais dans un atelier, dans un salon, il n’était question d’art sans que l’autorité de Fogelberg fut citée comme un argument décisif. Il avait résolu en effet d’une manière victorieuse un problème qui ne peut être posé que par un esprit pénétrant, et dont la solution ne peut être traduite sous une forme vivante que par une main très habile. Il s’agissait d’étudier l’art grec comme une langue, en se préoccupant surtout de sa méthode, et d’appliquer cette langue à l’expression de pensées nouvelles. Il est évident que la foule, en admirant la statue d’Odin, ne songeait pas aux termes du problème résolu : mais elle subissait à son insu les conséquences de la victoire remportée par Fogelberg : je veux dire qu’elle éprouvait à la fois l’émotion des souvenirs nationaux et l’émotion causée par la beauté. Elle était dominée par une pensée patriotique, et cette pensée la dominait d’autant plus puissamment qu’elle était exprimée dans une langue parfaite, souple et harmonieuse, claire et pénétrante. La foule ignorait les secrets et les difficultés de cette langue, elle ne savait pas ce qu’il en coûte pour la rendre sienne et la manier librement, et son ignorance n’enlevait rien à l’autorité du statuaire. Le triomphe de Fogelberg est d’autant plus important, qu’il peut servir d’encouragement à tous les esprits résolus qui font de l’expression de la beauté le but constant de leur vie. Appliquer à des pensées nouvelles une langue déjà faite, une langue déjà éprouvée, est aux yeux de tous les hommes sensés la seule manière de concilier la tradition et l’invention. Or c’est là précisément ce que nous trouvons dans la statue d’Odin. Scandinave par la pensée, Fogelberg parle une langue que nulle autre n’a jamais surpassée, une langue consacrée par des œuvres divines. Dans son respect pour le passé, il n’y a rien de servile, rien qui accuse la timidité. Il se souvient d’Egine et d’Athènes ; mais, en prenant leur idiome, il garde la liberté, l’originalité de son intelligence. Il est démontré désormais pour les plus incrédules que l’étude attentive du passé n’attiédit pas l’imagination, et lui fournit des moyens d’expression nombreux et variés. Fogelberg n’est pas le premier qui ait tenté, qui ait mené à bonne fin cette démonstration ;