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mais la statue d’Odin a rajeuni une vérité depuis longtemps évidente pour ceux qui ne séparent pas l’histoire de la philosophie dans le domaine de l’art, c’est-à-dire les œuvres accomplies de la nature même des facultés destinées à créer des œuvres nouvelles. Pour ceux-là, il est hors de doute qu’il vaut mieux choisir une langue faite pour la révélation d’une idée personnelle que de faire table rase et de considérer le passé comme non avenu.

Cependant la statue d’Odin, malgré les mérites qui la recommandent, ne saurait être comparée aux statues de Thor et de Balder. Dans le premier de ces trois ouvrages, on sent une aspiration puissante vers la liberté ; dans le second et le troisième, on comprend que l’auteur n’en est plus à la souhaiter, mais qu’il l’a conquise. Thor et Balder sont deux dates mémorables dans la vie de Fogelberg, car ils signifient, ils représentent l’émancipation complète de son intelligence. Ces deux statues, dont le caractère est si différent, peuvent servir à démontrer la souplesse et la variété de son imagination. Pour l’accomplissement de cette double tâche, tout était à créer ; par l’étude assidue des légendes scandinaves, par la méditation, l’auteur a surmonté tous les obstacles semés sur sa route. Les deux types inventés par lui ne sont revendiqués ni par l’antiquité, ni par le moyen âge ; ils lui appartiennent tout entiers. Thor, chaussé de peau de renne, les reins couverts d’une peau de loup, porte sur son épaule le terrible marteau auquel ses ennemis n’ont jamais su résister. Son visage respire l’ardeur du combat ; son œil flamboyant, ses narines dilatées, ses lèvres épaisses expriment le défi. Or dans l’invention de ce personnage il y avait plus d’un écueil à éviter. Tout en respectant le caractère sauvage de la légende, il fallait introduire le dieu scandinave dans le domaine de l’art, et, pour lui assurer le droit de cité, ne pas reporter la pensée vers l’époque de l’histoire où l’imagination dédaignait la forme. Fogelberg l’a parfaitement compris, et son dieu Thor, modelé avec autant de soin que les dieux de l’Olympe dont nous admirons les débris, nous transporte dans une région idéale. La poitrine et les membres peuvent être proposés comme des sujets d’étude ; on y trouve en effet l’élégance réunie à la force, et lorsqu’il s’agit du dieu Thor, n’est-ce pas à cette double condition que la statuaire doit s’attacher ? Un artiste doué de facultés secondaires n’eût pas manqué de négliger la beauté de la forme pour exprimer la force avec plus d’évidence. Fogelberg avait trop de sagacité pour commettre une telle bévue. Il ne sépare pas dans sa pensée la puissance de la beauté, et je crois fermement qu’il a raison. Toute autre manière de concevoir un type divin me semble contraire aux lois générales qui dominent toutes les formes de l’imagination.