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l’auteur le traite encore avec trop d’indulgence. C’était, dit-il, une âme sincèrement chrétienne, mais une intelligence vulgaire et basse. Je n’aime pas ce beau titre de chrétien sur une si laide figure. Appelons-le de son vrai nom : c’est un cuistre qui déshonore sa foi, et quand l’oncle d’Elisabeth, impatienté à la fin de tant d’impertinences, lui donne vertement son congé, on sait gré à l’auteur d’avoir châtié comme il convient les énergumènes de son propre parti.

Le cœur de la jeune fille retrouve bientôt cependant le calme que les violences du pasteur méthodiste ont un moment troublé. Écoutez-la, le surlendemain, quand elle confie à son journal la joie qui déborde de son cœur ! « O Léonore, la lumière s’est faite, oui, la lumière ! la lumière ! je viens d’entendre des choses toutes nouvelles pour moi. O les belles choses et si noblement dites ! Je puis aimer Goethe et Shakspeare, je puis m’enthousiasmer pour Mozart ; toi aussi, tu peux admirer sans scrupule ce Schiller que tu préfères à tout. Mon instinct ne m’avait pas trompée ! Je sais maintenant, je sais que Dieu ne condamne pas mon enthousiasme, je sais qu’il ne me livrera pas à Satan pour me punir d’avoir aimé les merveilles de l’art. » Celui qui a l’assuré et charmé ainsi l’âme inquiète de la belle rêveuse est un jeune et brillant philosophe, un des maîtres les plus applaudis de l’université voisine. Robert Schartel, — c’est le nom du philosophe, — a fait autrefois ses études philologiques sous la direction du père d’Elisabeth ; il a appris que son vieux maître a laissé en mourant de précieux manuscrits sur l’art et la poésie antiques, et il vient demander à sa famille l’autorisation de les publier. C’est là qu’il a rencontré le pasteur méthodiste ; or, la discussion sur les poètes ayant recommencé de plus belle, Robert n’a pas eu de peine à confondre le barbare. Tout ce qu’Elisabeth avait dans le cœur, Robert l’a exprimé, et avec quelle précision de formules ! avec quelle noblesse de pensées ! Robert était inspiré en défendant les élus de l’inspiration ; il était inspiré sans doute aussi par cette belle jeune fille, par cette physionomie angélique, par les remerciemens naïfs qu’il lisait dans ses regards, par cette attention avide d’une âme suspendue à ses paroles. Quelques jours après, Robert écrivait à un de ses camarades de l’université : « Tu te rappelles, ami, notre vieux professeur Spermann, cet excellent homme que nous aimions tant, et qui fut si souvent l’objet de nos innocentes plaisanteries. Tu sais aussi que j’étais allé prier sa famille de me donner communication de ses derniers travaux littéraires. Ce n’est pas seulement son héritage intellectuel que j’ai trouvé, mais son héritage vivant, une belle jeune fille dans tout l’éclat de sa grâce virginale. Le double héritage, la double fortune de mon vieux maître, ses manuscrits sur l’art hellénique et sa fille