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aucun mouvement sensible. Autrefois le renouvellement des conseils généraux et des conseils d’arrondissement eût excité l’intérêt et mis en présence toutes les opinions, toutes les rivalités. Aujourd’hui des élections viennent de se faire, elles passent inaperçues comme un acte auquel ne se rattache aucun sens politique. Et tandis que ces simples faits se succèdent, l’exposition universelle se dégage peu à peu de son chaos des premiers jours. On peut voir plus clair dans ce vaste assemblage d’œuvres de l’industrie et des arts. Le concours d’étrangers n’est point aussi considérable peut-être qu’on le pensait. Paris n’en est pas moins quelque peu envahi par ces visiteurs, dont le plus illustre en ce moment est le roi de Portugal. Apres tout, à part même l’exposition, Paris ne reste-t-il pas comme le résumé vivant de cette brillante et parfois confuse civilisation française ?

S’il y a un fait propre au siècle où nous vivons, c’est ce travail universel qui semble ne s’interrompre parfois que pour recommencer avec une ardeur nouvelle ; c’est cette inquiète activité qui se répand dans la politique ou dans l’industrie, dans les chocs des peuples ou dans les grandes œuvres matérielles, et qui se traduit dans le domaine de la pensée par un insatiable besoin de connaître, d’étendre l’horizon de l’intelligence, de comparer les génies des races diverses. L’esprit d’inquisition, pour employer un mot d’autrefois est en tout l’esprit de notre temps, l’esprit d’une époque qui, par ses luttes, par ses entreprises et ses passions, rappelle ce XVIe siècle où viennent se répondre tous les conflits des âges précédens. De là le mystérieux attrait qu’a le XVIe siècle pour nos contemporains ; nous y trouvons comme une image puissante de nous-mêmes. Il n’y a pas seulement l’attrait d’une analogie singulière ; il y a cet intérêt qui s’attache à la recherche des traditions de la pensée, à l’étude des hommes, — de ces hommes entre lesquels comptent L’Hôpital, Sully, Henri de Navarre, D’Aubigné, Duplessis-Mornay, Montaigne enfin, le penseur, l’observateur et l’acteur le moins passionné à coup sûr de ce drame d’un siècle en révolution. De Michel de Montaigne il n’est resté pendant longtemps que les Essais, et cela a suffi ; quant à sa vie, on la connaissait à peine. Lui, l’enlumineur de son esprit et de son intime nature, il n’a pas pris beaucoup de soin d’enluminer ses actions, et ses biographes n’ont pas toujours réussi à rétablir un peu d’ordre dans cette existence à la fois réglée et nonchalante. Depuis quelques années seulement, l’auteur des Essais est devenu l’objet de tout un travail nouveau de recherches. On a voulu ressaisir l’homme, comme on avait déjà l’écrivain. C’est la l’explication d’un livre substantiel de M. Alphonse Grün sur la vie publique de Montaigne. Il ne faut pas croire que même avec les ressources de l’érudition moderne ce soit une œuvre facile de recomposer cette vie, qui, en étant mêlée à toutes les choses de son temps, reste presque complètement dérobée au contrôle de l’histoire. Montaigne a été conseiller à la cour des aides de Périgueux, conseiller au parlement de Bordeaux ; mais à quel moment précis est-il entré dans ces fonctions, et à quel instant les a-t-il quittées ? Il a été gentilhomme ordinaire de la chambre du roi, chevalier de l’ordre de Saint-Michel : quand fut-il nommé et pour quel motif ? Il a été capitaine : à quels combats a-t-il assisté ? Il fut négociateur entre les princes pendant les guerres civiles de la Guienne : quelles furent les négociations qu’il eut à