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Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 10.djvu/1328

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exerçant son influence diplomatique là où elle peut se manifester utilement, en facilitant les alliances qui peuvent se conclure, en maintenant jusqu’au bout cet accord de vues et de pensées qui a fait jusqu’ici de l’alliance anglo-française la sauvegarde de l’indépendance européenne, le puissant contre-poids des tendances envahissantes de la Russie. Pour la troisième fois depuis quelques jours, le parlement anglais vient d’avoir à discuter cette solennelle question de la guerre, et ces discussions n’ont servi qu’à mettre en relief la volonté arrêtée du peuple anglais de marcher résolument à la conquête d’une paix solide. L’issue de ces débats n’était point douteuse ; le cabinet de lord Palmerston a facilement triomphé de toutes les oppositions, et quand tout le monde a eu parlé, il s’est trouvé, en fin de compte, qu’un vote de concours, proposé par sir Francis Baring, a obtenu l’unanimité dans la chambre des communes. Il y a eu cependant dans cette dernière discussion un fait qui ne laisse pas d’être curieux. Évidemment on ne peut plus s’étonner aujourd’hui de l’impuissance du cabinet présidé par lord Aberdeen : c’est que la plupart de ses membres s’étaient engagés dans la guerre sans la vouloir, et n’attendaient qu’une occasion pour y mettre un terme ! Cela résulte clairement des discours de sir James Graham et de M. Gladstone, qui ont fait un reproche à lord Palmerston de n’avoir point accepté les propositions émises par la Russie dans les conférences de Vienne. Les deux anciens collègues de lord Aberdeen avaient pourtant souscrit eux-mêmes au principe de la limitation de la puissance russe ; mais ils ne l’entendaient point comme l’entendent aujourd’hui l’Angleterre et la France. Sir James Graham et M. Gladstone se sont donc montrés très partisans de la paix, et il n’a point tenu, d’un autre côté, à M. Bright et à M. Cobden que l’Europe ne fût quelque peu convaincue d’iniquité à l’égard de la Russie. Pour le moment, ces manifestations restent isolées et ne sont point l’expression de l’opinion réelle de l’Angleterre. Il n’est point certain cependant qu’elles ne puissent quelque jour devenir menaçantes pour le cabinet actuel. Peut-être dans ces discussions récentes est-il permis de pressentir les symptômes d’une alliance entre diverses fractions de la chambre des communes réunies pour former au moment voulu le parti de la paix. Sir James Graham et M. Gladstone ont pris déjà position sur ce terrain, et ils ont été accueillis avec faveur, on le comprend, par l’école de Manchester. Seulement il ne suffit pas de vouloir la paix, il faut qu’elle soit possible ; en un mot, il faut que la guerre fasse son œuvre terrible et glorieuse pour conduire à une paix sûre et tutélaire.

Au milieu de ces préoccupations naturelles qu’excite une grande lutte, les bulletins de la Crimée éclipsent aisément tout autre fait. C’est à peine si, au courant d’une vie intérieure sans trouble, il reste en France quelque incident sur lequel l’attention s’arrête. En ce moment, il y a cependant toute une partie de la France qui vient d’être dévastée par les inondations : c’est cette immense et féconde vallée qui va de Bordeaux à Toulouse. Les récoltes ont été submergées et emportées, et il y a ici presque un fait politique en vérité, car toutes les questions de subsistances sont loin d’être résolues ; elles ne cessent d’avoir leur gravité depuis quelques années, et semblent tenir notre pays sous le poids d’une gêne universelle. Elles tiennent la place de la politique intérieure proprement dite, qui n’existe pas, qui ne se manifeste par