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manquent ni de justesse ni de nouveauté. Personne ne parle plus sûrement ni avec une plus grande propriété d’expressions cette langue financière, si pleine d’embûches quand on en use sans discernement ou sans bonne foi. Jugée dans l’ensemble, sa publication garde l’empreinte d’un esprit exact et ingénieux, qui expose avec soin, définit avec clarté, discute avec méthode et conclut avec précision. Voilà bien des mérites, et pourtant ils n’eussent pas suffi pour un succès populaire, si un peu d’ivraie ne se fut mêlé à tout ce bon grain. Plus exempt d’alliage, l’ouvrage eût fait son chemin moins rapidement, et il n’en serait peut-être pas à sa troisième édition sans cette partie suspecte et parasite, sans ces concessions à l’esprit de secte contre lesquelles j’ai dû m’armer de quelque sévérité.

Qu’en conclure, sinon que la tâche de l’économie politique, maintenue dans ses limites, est aujourd’hui remplie, ou peu s’en faut, et qu’on ne saurait guère y ajouter que des controverses dépourvues d’intérêt ou des déviations regrettables ? Comme corps de doctrines, les livres en crédit ont tout épuisé ; il ne reste plus qu’à en déduire les conséquences. Comme application, on a désormais de grands exemples ; des expériences se poursuivent aux yeux du monde attentif et défiant. L’Angleterre a commencé, le Piémont a suivi, la France semble entraînée malgré elle et par la force des choses. Voilà bientôt deux ans que son agriculture supporte le choc de la concurrence extérieure, sans que les craintes, feintes ou réelles, que ce régime inspirait, aient été justifiées par les événemens. On dirait qu’un nouveau jour se fait sur ces questions. À l’essai, la liberté ne s’est pas montrée malfaisante, comme certaines gens affectaient de le croire : partout où l’on en a usé, elle a créé des intérêts nouveaux sans nuire aux intérêts existans. Plus ces essais dureront et se multiplieront, plus cette preuve tendra à s’en dégager. Alors l’économie politique aura subi, comme on le voit déjà en Angleterre, la dernière métamorphose réservée à une science d’observation ; elle passera dans les faits, deviendra le droit commun des nations, et fournira à l’activité humaine, en tout lieu et dans tous les temps, la règle précise et uniforme qui lui a manqué jusqu’ici.


LOUIS REYBAUD, de l’Institut.